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Face Nord des Rochères.



8 avril 2000

Driiiiiing. La stridente sonnette de mon interphone vient de déchirer le silence qui régnait dans ma chambre. Je regarde l'horloge: 23h00. Aucun doute possible, il s'agit de la Menace. En effet, quelques instants plus tard, c'est un Maxime tout souriant qui débarque, une élégante veste noire sur le dos, et comme à son habitude, il n'a pas oublié ses épaules. Le temps pour demain samedi est donné pour beau sur les massifs environnant Grenoble. Notre objectif: la face Nord - Nord Est directe des Rochères. C'est une impressionnante pyramide de huit cent mètres proche du Taillefer. La course de neige cote AD, et la descente 5.2. Deux centaines de mètres à cinquante degrés sont encadrées par une pente moyenne de quarante cinq. Les barres rocheuses qui parsèment la face ne sont pas très rassurantes: une chute a de grande chances de se solder par la mort.

Nous n'y pensons pas encore, et nous perdons un temps de sommeil précieux à refaire le monde en avalant quelque yaourts. Nous préparons les sacs, le matériel, puis le chargeons dans la voiture. Un check up complet est effectué: tout y est. Nous nous couchons à 1h30, ce qui nous laisse...deux heures pour nous ressourcer ! Nous nous lèverons en effet une bonne demi heure avant Matthieu et Vincent que nous retrouverons à la Grenonière pour le départ de la course. Nous devons d'abord passer par Vénosc où la Menace, distrait, a laissé le plus gros de son matériel de ski alpinisme. Il n'est pas facile de trouver rapidement le sommeil à la veille d'un 5.2, et en ce qui me concerne, j'avoue réfléchir un bon peu avant de sombrer dans les bras de Morphée.

Dans mon rêve, une musique lancinante, difficilement discernable du brouaha ambiant, désagréable, se fait plus claire. Petit à petit, je la reconnais: encore un tube du moment, que les programmateurs nous passent à longueur de journée. Tout devient limpide à présent: je deviens lucide, réactif, je réfléchis, je reprends conscience ; en somme je me réveille. La radio vient de s'allumer pour signifier qu'il est l'heure d'aller mériter notre goûter...sur les pentes raides des Rochères. Nous nous extirpons des draps, revêtons nos Carline et nous asseyons à table pour le petit déjeuner. Max se sert un bon bol de céréales, alors que je me force à ingurgiter une plâtrée (il n'y a malheureusement pas d'autre mot !) d'avoine chaud. Si ce n'était pour les qualités énergétiques de ces flocons, je m'abstiendrais bien volontiers de manger cette bouillie gluante et tiède pour me gaver de Chocapic comme le fait la Menace avec un plaisir non dissimulé...

4h00: je referme la porte du box et enclenche la première de la Saxo. C'est parti ! Direction Vénosc, au chalet de la Menace Family, pour récupérer le matériel de Max. Il fait nuit noire, le trajet se déroule à un rythme coulé et rapide sur la route de Bourg d'Oisans. Nous quittons Séchilienne et entamons la remontée sur Gavet, quand l'(in)évitable se produit.

" Merde ! Putain merde quel con ! " s'exclame la Menace.

Je détourne mon regard de la route et découvre son visage blafard et ses yeux écarquillés ; je sens d'emblée que c'est du sérieux.

" Merde, j'ai oublié mes clés de Vénosc ! "

C'est le drame. Nous venons de parcourir près de quarante kilomètres, le simple fait d'aller jusqu'à Vénosc constitue un beau détour de vingt cinq bornes, et voilà que nous devons tout simplement repasser par chez moi ! Le premier zébra venu et c'est le demi tour immédiat. Plus le temps de plaisanter et de discuter, place à l'action ! Ca tombe très mal, nous allons avoir une bonne demi heure de retard sur nos camarades, et nous allons par la même occasion nous ruiner en essence. Pas le choix, de toutes façons cette foutue clé est indispensable : sans elle, Max est cloué en bas de la face. Après avoir vu " Taxi 2 " récemment, je me sens inspiré, et ça vole bas dans les portions rapides… Le vieux Jacques Laffitte peut aller se rhabiller : les porte skis magnétiques, ça tient au delà de deux cent kilomètres heures garçon… Faisant fi des quelques feux de signalisation que nous rencontrons du côté d'Europole, nous immobilisons l'auto au 3 Quai de la Grisaille un petit quart d'heure plus tard ; ça sent le chaud, et les pneus sont brûlants. Une minute trente plus tard, le précieux sésame est dans la poche de la Menace, j'en ai profité pour récupérer ma frontale (je n'allais quand même pas m'en tirer avec un zéro faute !), et la Saxo voit sa pause avortée : nous remettons la gomme pour rattraper le plus de temps possible sur les deux loustics qui sont maintenant loin devant.

A six heures moins dix, nous sommes sur la route de la Grenonière, et une ZX blanche, garée en face de nous sur la route, nous fait des appels. Ils sont là, et nous avons plutôt bien limité la casse au niveau des horaires. Bien vite, nous nous garons le plus haut possible, et commençons à nous équiper. Mathieu nous montre la face. Impressionné par cette pente raide et froide dans la lumière pâle de l'aube, je décide d'assurer le coup et j'opte pour les skiboards. Si l'etat de la neige ne permet pas leur utilisation, tant pis, je renoncerai. Pas question de s'en coller une sur un 5.2 E 3... Matt se pare de son surf, Vincent et Max de leurs skis, et c'est parti !

Tout le début n'est pas enneigé: une bonne séance de portage sur chemin s'impose donc. Un peu plus tard, dans la forêt, Vincent et La Menace chaussent les peaux, pendant que Matt et moi-même continuons notre progression à pied. Le soleil frappe rapidement les vallons enneigés sur lesquels nous grimpons. Dès notre sortie des bois, la face nous apparaît dans toute sa splendeur. La neige, encore assez dure, ne handicape pas trop les piétons que nous sommes. Le vent est présent, et se rappelle parfois à notre bon souvenir au moyen d'une bonne rafale qui glace les oreilles. Nous avançons sur un grand dôme neigeux, traversons quelques rochers, avant de faire une pause au dessus d'une grosse corniche. La face Nord des Rochères, ainsi que notre ligne, la directe, nous domine de toute sa puissance. En nous alimentant avant l'assaut, nous scrutons la paroi du bas vers le haut et je ne peux m'empêcher de penser que nous allons en baver un bon peu avant d'atteindre le sommet.

DNous attaquons les contrepentes menant à la base de la raide pyramide sommitale. Matthieu et moi nous enfonçons terriblement, et comme je n'ai pas choisi de suivre sa trace pour l'instant, je fais moi aussi des efforts conséquents. Vincent et La Menace s'élèvent plus régulièrement, toujours chaussés de leurs peaux. La neige, profonde, est de qualité, et nous espérons que quand nous serons au sommet, le soleil l'aura rendue encore plus appréciable. Bien rapidement, la pente s'accentue et dépasse les quarante degrés. Nos amis les skieurs fixent leurs planches sur leurs sacs, et chaussent les crampons. Je me sens bien, et j'en profite pour faire la trace, pour ce qui ne sera qu'un bref intermède dans le récital Matthieu-Vincent en tête du groupe. Juste sous le ressaut rocheux où la pente se raidit méchamment, je stoppe à mon tour pour attacher mes crabes. Seul Max estime ne pas avoir besoin de sortir les siens du sac. Je repars bon dernier, assez loin des deux lascars qui s'escriment à faire la trace dans une neige très profonde, et quelques mètres derrière Max, qui tient bien le coup pour quelqu'un ayant négligé son petit déjeuner. Les passages à cinquante sont une véritable plaie à négocier, et par endroits, nous sommes directement confrontés à la rocaille sous- jascente, il s'agira de se montrer très vigilant à la descente. Je garde ensuite un excellent souvenir de la fin de l'ascension: physique, mais extrêmement plaisante, tout le mérite revenant à la trace de ces messieurs Matthieu et Vincent. Je me surprends à dépasser La Menace, victime d'un coup de barre bien normal après ses Chocapic... et même à revenir assez fort sur les deux échappés que je rejoins au sommet, sans me sentir particulièrement usé. A nos pieds, huit cent mètres de face; autour de nous: un panorama exceptionnel au soleil du printemps. Le temps de se rassasier, de se couvrir (il fait tout de même frais à cette altitude) et il est grand temps pour nous de nous intéresser au frisson de la descente. Les TR et Scarpa sont bouclées en position descente, les skis, skiboards, et surf sont fixés, et nous attaquons les premiers virages, dans du quarante cinq degrés bien régulier, et surtout très aérien. En skiboards, je prends un pied d'enfer. La neige, de la poudre en veux-tu en voilà, permet d'enchaîner virage sur virage, le buste droit dans la pente, et je ne suis pas le seul à me faire plaisir. Tous autant que nous sommes, nous apprécions les conditions géniales dont jouit cette belle journée d'avril. Une ou deux petites frayeurs cependant, à la réception, sur des rochers mis à jour par nos passages successifs.

Le crux de la voie se présente maintenant à nous. Je suis désigné volontaire pour explorer nos traces précises de montée, pendant que Matt va tenter une variante sur la gauche qui lui semble jouable. Ce sera en fait le bon choix: en traversant sur la droite avant de repiquer dans un étroit goulet vers la grande pente du socle de la pyramide, je passe ma vie en équilibre sur des bouts de rochers, et c'est assez scabreux. Vince et Max suivent le chemin de Matthieu, et Max nous fait même une petite chaleur alors que Matthieu et moi sommes déjà au pied de la face: il se trouve pris dans un petit aérosol, mais cet incident n'aura pour conséquence que de rendre le jovial Maxime couvert d'un épais plâtre blanc. Il ne nous reste plus qu'à dévaler avec insouciance les vallons que nous avons patiemment remontés il y a quelques heures. Chacun y va de sa trace, de sa godille dans la poudre. L'image serait presque parfaite si le Bordin n'avait pas ruiné toute la face avec son ample trace de surfeur: plus moyen de descendre sans couper à un moment ou l'autre le sillon de la planche du blondinet. Du pur plaisir: la sortie est une réussite, et nous savourons les derniers virages dans la forêt avant de clipper les skis sur le sac et de rentrer à pieds.

Cette journée du 8 avril ne nous avait pas encore livré toutes ses surprises. Le soir en effet, après avoir passé un bon moment en ville, en compagnie de la belle Lily, nous regagnons nos pénates respectives. C'est depuis devenu une habitude: j'héberge La Menace qui prendra son train aux aurores pour retrouver la capitale. En arrivant au quai de la Grisaille, un jeune garçon noir, portable scotché à l'oreille, nous demande si nous avons une échelle: il s'est enfermé dehors alors qu'il attendait un ami dans l'appartement de ce dernier. C'est une mission pour nous. Quelques tentatives infructueuses d'escalader l'immeuble ne nous laissent pas le choix: il faut passer par les toits. Direction le quatrième étage où Max engage la viande sur une échelle branlante dans une cheminée menant à un vélux. Notre jeune ami est terrorisé. Il nous semble plus raisonnable de gagner le toit par le couloir principal du dernier étage. Le gars semble regretter d'avoir demandé notre aide:

"Putain, ils vont s'en coller un ces cons-là et ce sera ma faute" semble se dire notre ami.

Mais nous sommes lancés, et en plus cela nous amuse: rien ne peut nous arrêter. Direction mon appartement, nous récupérons les frontales, les baudriers, la corde, et zou ! En deux temps trois mouvements, nous sommes sur le toit et le locataire distrait, maintenant en compagnie de ses amis, se trouve dans la rue, au pied de l'immeuble. Tous trois scrutent nos manoeuvres avec la plus grande attention. Une bonne cheminée de deux mètres par deux fera parfaitement l'affaire pour supporter mon poids. Bientôt, je franchis le rebord du toit, non sans avoir demandé dix fois à Max s'il avait revérifié son montage, qui craque tant et plus.

Deux minutes plus tard, dénouement de l'affaire; je pénètre dans l'appartement en question, et ouvre la porte. Le tour est joué. Un peu plus tard, Max libère la corde, que je love dans la rue sous le regard ébahi des clients de la pizzeria. La haut, au quatrième, La Menace se met un combat de folie pour refermer ce p... de vélux avec une vieille " oppo " des familles. Tout est bien qui finit bien, c'est à dire dans un grand éclat de rire ! Assurément un de mes plus beaux souvenirs de montagne, et l'anecdote de clôture ne fait qu'asseoir cette journée parmi les plus mémorables que l'on ait partagées.

Romain Delambert