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Petite Face Nord du Roc des Saints Pères
Face Ouest de l'Aiguille de Péclet


22 juillet 2000

[...] Je pars en Corse dans trois jours maintenant. Trois jours avant de retrouver des êtres chers, en particulier une petite qui me rend fou, trois jours avant d'aller se prélasser au soleil, trois jours avant de me sentir chez moi... Trois jours. Ce n'est quand même pas si loin non ? Quelle idée d'avoir promis de faire du ski avec le Vinc' ce week-end ? Bien sûr, cela me fait plaisir, plaisir de revoir le Vinc', plaisir de partager une journée en montagne avec lui, mais je sais bien que je vais en chier. Pourquoi ?

Parce que quand le Vinc' va skier, il envoie du bois à la montée. Ca, c'est effort d'endurance assuré, et belle bavante garantie, même quand il prétend qu'il n'est pas en forme. Parce que quand le Vinc' décide de " bricoler quelques virages ", c'est rarement sur une piste rouge ou noire, il lui faut du très raide, du très dur. C'est aussi ce que je recherche, mais bon, un peu de calme parfois, cela fait du bien. Toujours est-il que le Vinc' débarque à Méribel le vendredi soir, au volant de son inséparable ZX mazout. Il dîne en notre compagnie, puis nous préparons les affaires et allons nous coucher. J'ai profité de mon passage à Vénosc cette semaine pour farter mes skis, ils sont impeccables. Vincent a fait de même, nous allons les gratter ensemble. Les sacs sont bouclés, nous nous couchons, en réglant le réveil vers quatre heures du matin.

Debout ! Time for ski ! Nous petit déjeunons tranquillement, puis descendons les affaires au garage. Nous prendrons deux voitures jusqu'à Moutiers, puis celle de Vincent pour rejoindre Val Thorens. Cela lui permettra ensuite de rejoindre la belle Mariane plus rapidement… L'objectif officiel de la journée : " bricolage " (selon les termes de Monsieur Fiori) autour de l'Aiguille de Péclet, plus haut sommet des Trois Vallées, culminant à trois mille cinq cent soixante et un mètres. La ZX se transforme en Range Rover pour gagner le plus d'altitude possible, et nous montons pratiquement jusqu'à deux mille cinq. Des Belges montent plus haut, mais avec un vrai 4x4… Les réflexes hivernaux reviennent vite : arrimage des skis sur les Dynacham, chaussage des Scarpas spéciales, les bâtons, un bonnet, et hop, nous voilà partis !

Trois bons quarts d'heure nous sont nécessaires pour arriver jusqu'aux premières neiges du glacier de Péclet. L'occasion de s'échauffer convenablement. En face de nous se dressent des faces impressionnantes : le glacier de Péclet, très ouvert à cette époque de l'année, fait la part belle aux crevasses béantes et sa partie supérieure est lacérée de rimayes dans lesquelles il ne doit pas faire bon tomber. Vincent a déjà skié la face Ouest de l'Aiguille de Péclet, à une date presque aussi exotique que celle d'aujourd'hui : fin octobre 99. Il avait envie de partir un peu sur la droite. Nous essayerons donc de nous attaquer à la petite face Nord des Saints Pères, la pente la plus extrême des Trois Vallées. Vu d'ici, cela a l'air jouable, mais il va falloir que le soleil tape un peu pour dégeler tout cela. La neige est très dure, et la glace n'est pas loin dessous. Skis aux dos, crampons aux pieds et piolet à la main, nous commençons à remonter le glacier, prenant soin de ne pas passer trop de temps sur les ponts à neige. La première partie de l'ascension est très agréable. Pente pas trop raide, belles crevasses, température acceptable. La suite l'est moins : en s'approchant de la face que nous comptons skier, et qui s'avère être tout de même raide (quarante cinq degrés de moyenne mesurés sur la carte a posteriori), nous nous rendons compte qu'une rimaye effroyable rend la face très exposée. Cette énorme crevasse " à plusieurs étages " s'ouvre telle une cathédrale de glace, et, si sa profondeur nous est inconnue et impossible à estimer, sa largeur atteint parfois une bonne quinzaine de mètres. Autrement dit, la chute devient interdite, et la traversée sur le petit pont à neige aux dimensions ridicules par rapport à celles de l'entre deux lèvres est assez tendue. Nous poursuivons malgré tout notre ascension. Un peu plus haut, une petite rimaye, beaucoup moins impressionnante, nous barre encore la route vers la face. Vinc' traverse sur un pont à neige qui a l'air solide mais entend un craquement peu rassurant. Je préfère assurer le coup et j'opte pour un pont un peu plus loin, mais qui n'a pas l'air très costaud. Je n'ai rien d'autre de toutes façons, il faut y aller. Je serre les miches, plante mon piolet avec conviction, et traverse rapidement jusqu'à ...une petite portion de glace vive ! Bon sang, il ne va pas falloir se la coller à la descente, sinon, ça risque de mal se passer ! Nous remontons à présent la large pente de neige très dure qui mène vers le haut des Saint Pères. Dans la partie terminale de la face, un passage de mixte s'impose. Pas le choix, il faut poser les crampons convenablement et s'appliquer un peu, mais nous ne savons toujours pas par où nous passerons à skis... Nous atteignons la crête sommitale, il est encore tôt, le soleil n'a pas encore fait son apparition sur la face, orientée plein Nord...L'altimètre indique trois mille quatre cent cinquante mètres, cela explique que nous avons du pousser un peu pour monter rapidement. Nous patientons quelques instants, le temps que Sa Majesté Râ veuille bien chauffer la face...

Nous n'avons pas grand choix quant à la redescente : il va falloir se résoudre à désescalader les premiers mètres, impossibles à négocier planches aux pieds. Cela se passe dans la bonne humeur, même si les conditions de ski sont pour l'instant très délicates. La neige, très dure, ne laisse aucune place à l'erreur. En haut de la face skiable, Vinc' nous joue un numéro d'équilibriste pour chausser ses Hagan. Je préfère continuer à descendre un peu en crampons, pour me trouver un endroit moins inconfortable, et pour me mettre en confiance. Le chaussage des skis prend quelques minutes : il s'agit d'être précautionneux pour ne perdre aucun élément vital d'équipement, et pour ne pas se trouver déséquilibré, ce qui pourrait avoir de bien fâcheuses conséquences...

J'entends les carres de Vinc' racler la neige dure comme du béton. Rien de bon, me dis-je. Un peu plus tard, juste au dessus de moi, La Fiorasse accomplit son premier virage, puis un deuxième. La machine est lancée ! Quant à moi, pas de quoi être fier en ce jour de ski. Je ne sens pas mes skis, je suis mal à l'aise, pas en confiance. Il y a des jours comme ça. Autant au Sambuis j'évoluais sur un nuage, autant la Grande Casse m'avait réservé une belle surprise, autant là, aujourd'hui, précisément, je ne me sens pas bien. C'est pourquoi je décide de déraper dans la partie la plus raide de la face, sans tenter de virage. La neige est tellement dure que le moindre écart, même minime, pourrait suffire pour m'envoyer faire une visite guidée de l'inévitable rimaye qui barre le bas de la face…Il n'en est pas question, pas à trois jours de la Corse ! Dès que la pente s'adoucit un peu et que la neige a été exposée au soleil, je peux me débloquer, et commencer à tourner à mon tour. Nous franchissons la grosse rimaye par son extrémité droite, avant de piquer à fond vers la face Ouest de l'Aiguille de Péclet. Nous traversons tant bien que mal quelques restes d'avalanches, contenant les fameuses boules inskiables, puis nous retrouvons deux cent cinquante mètres sous le sommet. Les skis sont de nouveau fixés au sac, les crampons sont de retour, et nous voilà repartis vers le haut. Nous voulons en avoir pour notre...matricule, et par conséquent, pas question de rentrer de suite. Nous nous trouvons maintenant dans une pente moins extrême, beaucoup plus ensoleillée, et la montagne qui nous entoure semble tout à coup bien moins austère que quelques heures auparavant. Une fois sur l'arête sommitale, nous prenons le temps d'admirer le paysage. Au Nord, le Mont Blanc. Au Sud, le massif des Ecrins, la Meije. Un spectacle grandiose dont nous nous délectons sans retenue. Quand l'heure est venue de rechausser les skis, tout se passe beaucoup mieux, et c'est du ski plaisir, du vrai ski alpinisme d'été. La neige transforme, c'est un régal d'enchaîner de grandes courbes entre les crevasses, ou au contraire, d'enquiller les petits virages serrés dans les murs un peu plus raides. Un pur moment de régal qui s'achève sur la moraine du glacier, par une chaleur intense, signe qu'il ne fait plus bon traîner sur les ponts à neige à cette heure avancée de la matinée...

Le retour à la voiture est un moment de décompression, comme toujours, un moment où l'on profite pleinement des réalisations de la journée. Cette sortie vient couronner une semaine riche en aventures montagnardes, riches en émotions, et donc forcément riche en souvenirs. Une bonne pause de quinze jours s'impose maintenant : la Corse est une destination idéale, surtout quand on y est attaché comme moi, et que l'on s'y sent chez soi, pour bien des raisons. Ce texte s'achevant après ces douces journées (et nuits...) sur l'Ile de Beauté, je suis en mesure de me demander quand je pourrai de nouveau vivre une semaine d'alpinisme aussi intense. S'il est vrai qu'une cheville foulée est un accident bénin, renouveler l'expérience une fois par an est une bonne moyenne, pas forcément recommandée pour les ligaments externes...Les courses en montagne ne sont pas prescrites elles non plus, hélas. A l'heure où je boucle ce récit, il est minuit, j'ai sommeil. Il faut que je dorme, demain matin, je repars à Vénosc…

Romain de Lambert