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La foire aux taquets...



Pilier Sud du Rocher d'Archiane
Voie Livanos
25 juin 2000

"Un piton en plus vaut mieux qu'un homme en moins…"
Georges Livanos.

Cela faisait un petit bout de temps que nous avions arrêté la date: samedi 24 et dimanche 25 juin 2000, Couloir en Z dans la Face Nord de la Meije. Un itinéraire mixte de difficulté intéressante, une des belles classiques que nous nous devions d'inscrire à notre palmarès.

Vendredi soir, nous sommes nombreux à la gare de Grenoble quand le 21h41 de Paris arrive à quai. A son bord, Maxime Bertrand dit "Delapierre", son acolyte Murexien Cédric, les collègues de l'IFP, Manu et Tof. Les derniers cités vont prendre la direction de Vaulnaveys, en compagnie du fan club d'accueil, pendant que Max s'installera au Refuge Matthieu (peut-on encore parler d'appartement lorsqu'on fait référence à cet abri délabré ?) en attendant de partir vers le refuge du Promontoire le samedi en début d'après-midi.

Une courte promenade, une énorme tablée dans un bistrot proche de la gare, des rires, des bâches, des embrassades, toute notre petite troupe profite pleinement de cette belle nuit de juin. Lorsque l'on se fait la bise et que l'on se sépare, je file chez Karen où Oliv' est de passage entre son travail aux Etats-Unis et ses prochaines vacances en Grèce. Ca fait toujours plaisir de retrouver le camarade Olivier Allain, il a toujours de vrais romans fleuves à raconter, ses aventures américaines étant absolument incroyables.

La nuit fait déjà partie du passé quand sonne le réveil. Je m'extirpe des draps et prépare mes affaires avec beaucoup d'attention: piolets traction, crampons techniques, coques plastiques, Gore-Tex, Schoeffel, deux paires de gants, lunettes, bonnet, polaire, Camelpack, réchaud, gaz, polenta, baudrier, pitons, broches à glace, câblés, friends, dégaines, mousquetons, tout ce barda rentre péniblement dans mon quarante deux litres. Il est désormais midi vingt: je me fends d'un appel vers le centre régional de Météo France pour avoir des nouvelles fraîches: les salauds diffusent encore le bulletin de huit heures ! Dans tous les cas, les prévisions sont plutôt pessimistes: rien de bien précis pour dimanche sur le massif des Ecrins, les choses se présentent mal. Un peu plus tard, contact radio avec Matthieu et Max: ils ont écouté le dernier bulletin, a priori, c'est rapé pour ce week-end. Nous attendons l'avis de Vincent, mais inutile de se pointer au Promontoire ce soir, le temps, couvert et glauque annoncé pour le lendemain nous empêcherait de faire notre course dans de bonnes conditions. Du coup, c'est une véritable déception: les affaires sont vidées de l'Extrême Gabarrou, fidèle sac à dos, et du matériel plus propice à une grande voie rocheuse y est entassé: chaussons, magnésie, porte matériel remplacent les coques, pioches, crampons et autres vêtements techniques.

Un peu plus tard, nous sommes enfin d'accord sur notre destination: nous partons vers Chatillon en Diois, dans la maison des parents de Marianne. Ce soir, un peu de couenne ne nous fera pas de mal, et demain, nous choisirons une belle voie dans les Rochers d'Archiane, si le temps le permet, bien entendu. Je file chez Matthieu, où nous chargeons le coffre et décollons en direction de Sassenage. Vincent et Mariane nous y attendent, ils sont fin prêts. La ZX du couple précède la Saxo des étudiants, qui le sont encore pour une journée à peine: lundi matin, à dix heures trente, pour tous les trois, c'est la soutenance du projet de fin d'études, et le diplôme ! Les amicales petites routes du Sud Vercors nous donnent l'occasion de saluer une nouvelle fois le majestueux Mont Aiguille, théâtre de nos exploits hivernaux, et nous débarquons en milieu d'après-midi à Chatillon, petit village de cachet où nous serons hébergés dans une belle villa.

Un rapide rafraîchissement, et nous partons en hâte vers le petit site de grimpe situé à quelques minutes de marche du village. A peine arrivé là-bas, je me rends compte que j'ai oublié mon baudrier à la voiture. Pestant contre mon inattention, je retourne à la maison au pas de course…pour constater que mon harnais se trouve en fait à Grenoble: la modification du projet de dimanche a entraîné un changement de baudrier, et un oubli de taille. Heureusement, le frère de Mariane parvient à me dépanner. Vinc' a laissé un vieil amas de sangles plus ou moins cousues ensemble où l'on devine une inscription qui devait lire "Petzl" il y a quelques décennies... Cela fera l'affaire ! Deux petites heures d'escalade nous permettent de découvrir le style assez particulier et soutenu de l'endroit, et nous vérifions au passage si les ancrages résistent bien à plusieurs vols...

Bien vite, nous regagnons la maison pour préparer le dîner: un petit barbeque des familles dans le jardin. Pendant que tout le monde attaque la dégustation de Whisky et de saucisses, Vincent et moi nous éclipsons pour faire un tour en Saxo. Une bonne demi-heure, 15 litres d'essence, 4 millimètres de pneus plus tard, nous sommes de retour parmi les convives… La Menace a eu l'exceptionnelle obligeance de m'attendre, et nous commençons à nous en prendre très sérieusement à la bouteille de Clan Campbell qui doit se dire à ce moment que sa dernière heure a sonné… Assis dans l'herbe, sous un ciel dégagé, non loin des falaises du Diois, nous goûtons au plaisir d'être dehors, en été, entre amis, à déguster des saucisses et pommes de terre grillées: nous nous laissons volontiers envahir par la douce sensation de bien être que l'on appelle communément le bonheur…

L'alcool poursuit quant à elle sa route dans notre organisme. Matthieu fait une entorse à sa ligne de conduite habituelle et se joint à nous: nous nous en réjouissons, car un Bordin ayant bu assure toujours le spectacle ! A la fin du repas, nous sommes fin prêts, chauffés à blanc. De sources sûres, je sais que je suis l'auteur de la première à skis du jardin ! Mon matériel ? Des tongues, et un bâton qui ressemblait fortement aux baskets Nike de Vincent… Les mouvements d'équilibre complètement hors sujet de Max, ainsi que les roulades aussi incontrôlées qu'inesthétiques de Matthieu nous indiquent qu'il est l'heure de quitter les lieux, direction le village. Il nous faut le visiter. Ne retenons de cette promenade que les faits sportifs les plus remarquables: la face de béton de plus de soixante quinze degrés située sur la place de la fontaine a été descendue, par Matt, La Menace, La Fiorasse, et moi-même, dans différents styles, mais toujours avec classe, et sous les yeux désolés de la pauvre Mariane. Par la suite, nous nous sommes entraînés à la progression en renfougne (ce qui allait nous être utile, mais nous ne le savions pas encore !) en rampant dans un caniveau exigu. Malheureusement, il faut le signaler, les notables du village se trouvant en montagne pour le feu de la Saint Jean, nous avons du déplorer un score minable de zéro rencontre de Ronalds au cours de ces moments mémorables… C'est donc encore joyeux que nous regagnâmes nos duvets pour une nuit qui se devait d'être réparatrice !

Au réveil, vers sept heures, nous n'étions pas encore totalement remis de nos émotions. Vincent s'en rendit bien compte en nous accueillant à la table du petit déjeuner d'un léger mais destructeur: "Vous faîtes moins les malins là hein ?". Des céréales, des yaourts, une pomme, nous sommes rassasiés. Il nous reste à boucler les sacs et à nous diriger vers Archiane. Au programme aujourd'hui: la voie Livanos au Pilier Sud du Rocher d'Archiane. Rien que le nom du réputé Grec fait encore trembler plus d'un rochassier, mais nous refusons de manger de ce pain là: on ne se chie pas, c'est bien (trop ?) connu, et nous jugerons in situ la difficulté de l'itinéraire. Chaque cordée prépare son matériel sur le bitume, derrière le coffre de la Saxo. Vincent et Matthieu s'associent d'un côté, Maxime et moi de l'autre. Voilà les équipes constituées. Chaque duo regroupe donc son équipement. La Menace, réputé pour partir hypra-light (souvent trop d'ailleurs), refuse que j'emporte plus de huit dégaines (!) et n'accepte pas non plus la présence du volumineux Camalot 3.5. De mon côté, contrairement à mes camarades, j'ai des sandales (cela prend moins de place dans le sac), et j'inaugure aujourd'hui mon porte-matos "Yak". Nous entassons la quincaillerie dans le coffre de mon véhicule, et nous voici partis en direction d'Archiane, où nous nous immobilisons au détour d'un virage, passant outre l'interdiction de pénétrer dans le village. Cordes et sacs sont rapidement arrimés sur nos dos, et nous voici sur le départ, le vrai cette fois.

L'ascension démarre par un bon sentier en forêt. Les parois qui nous intéressent nous dominent, et l'on se rend déjà compte que cette course sera une belle réalisation, que l'itinéraire est d'ampleur. Le topo annonce plus de quatre cent mètres de paroi pour dix sept longueurs si on les compte toutes, vires comprises. L'entreprise est donc plus longue qu'une sortie à la Maye ou à Presles. L'équipement n'est bien évidemment pas béton, avec soixante quinze pitons annoncés sur les quatre cent vingt cinq mètres, plus des coins de bois, qui feront notre grande joie un peu plus tard. La marche d'approche passe rapidement de promenade sympathique en forêt à éprouvante montée sur des chemins poussiéreux et raides, ce qui occasionne quelques glissades, accompagnées il va de soi du juron qui va bien… Une bonne heure nous est nécessaire pour nous poser au pied de la voie. Le ciel est clément, il fait même presque chaud. Le soleil est présent, et tape sur l'imposant pilier, haut en couleurs, que nous nous proposons de gravir. Notre escalade doit se dérouler en deux parties: huit neuf longueurs jusqu'à la vire centrale, pour une voie répétée une trentaine de fois par an. La suite, sur sept ou huit longueurs, n'est parcourue qu'une petite dizaine de fois par an: l'équipement y est (encore) plus mauvais, et le rocher varie de très instable à pourri. Voilà qui devrait nous réjouir ! Nous enfilons les baudriers, organisons le matériel, préparons le sac à dos dont chacun se délectera une longueur sur deux, et surtout, nous délovons les cordes. Celle prêtée par notre ami Falco est une véritable plaie. Il nous faut vingt minutes pour lui redonner un aspect normal, et c'est passablement énervés que Max et moi abordons la première longueur.

Matthieu et Vincent sont au premier relais. J'ai l'honneur de laisser Max se dépatouiller avec la fin du brin récalcitrant et je m'élance à l'assaut des premiers mètres. Un court passage un peu athlétique sous le relais, deux pitons en tout sur trente mètres, le ton est donné: le suréquipement, on peut oublier pour aujourd'hui. Vincent attaque les premiers mouvements de L2 quand je me vache en compagnie du grand blondinet. La Menace finit de lacer ses nouveaux chaussons, et grimpe rapidement jusqu'à nous. Lorsqu'il arrive, on débute d'entrée par une figure digne d'un double axel en patinage artistique alors qu'il tente de passer entre mes jambes pour ne pas trop vriller la corde. Première rigolade de la journée, ça détend. Je lui refile rapidement le matériel sur le Yak, il abandonne le sac dont je me chargerai, et le voici se plaçant dans la courte traversée à gauche, qui donne sur une portion un peu plus raide en V+. Il disparaît bientôt de ma vue, mais la corde défile assez régulièrement, il grimpe de façon efficace. Lorsque j'arrive à son niveau à R2, je n'ai eu à récupérer que trois ou quatre dégaines: lorsque nous avons suffisamment de marge, nous ne perdons pas trop de temps à protéger notre progression. Max donne le bon exemple...

R2: première bévue du jour, signée Max et Lansbert, évidemment.

- "Je te rends le sac à dos...voilà, tiens, file-moi des paires...merci bien, OK".

- Eh, tu crois quand même pas que je vais me trimbaler ces p... de sangles en second ! Prends celle-là... Tu l'as ? Merde ! La sangle !!! s'exclame le Maxime.

Fort heureusement, cette dernière a enrayé sa chute au bout de quatre ou cinq mètres, et s'est immobilisée dans la fissure. Nouvelle crise de rire ! Max me mouline rapidement, je récupère l'objet, et repars bille en tête dans la longueur suivante. Il s'agit d'une très belle fissure dièdre qui s'escalade en écart. Dans le haut, cette fissure s'agrandit, le dièdre s'ouvre, et l'on se coince dans la renfougne. Trois vieux pitons protègent cette belle portion, que j'enchaîne rapidement jusqu'au relais où se trouve Matthieu. A deux, c'est un tantinet inconfortable. Au dessus de nous, une fabuleuse écaille en rocher rouge, et un Vinc' Fiori en plein effort, qui traverse sur sa gauche. Superbe ! La Menace se débat avec le sac dans la renfougne, ce foutu sac qui en a pris pour son matricule au cours de cette longue journée. Au relais, cette fois-ci, aucune bavure: nous sommes efficaces. Max récupère le matos inhérent au grimpeur de tête, me laisse le sac à dos dont la présence m'énerve, et repart. Deux ou trois pas incertains, il clippe le premier piton, replace ses pieds et me demande de le sécher ! Que se passe-t-il ?

"Redescends-moi Romain !"

- Quoi ? Tu te chies là ou quoi ?

- Anti. J'ai oublié les dégaines...

Encore une fois, nous démontrons notre haut degré de concentration en ce début de voie !

Lorsque la Menace repart avec l'équipement, je l'assure en admirant le paysage. Je suis sur un petit nid rocheux, et le gaz commence à se faire doucement sentir. Je lève les yeux et je le vois tirer droit dans une fissure plutôt malcommode. Bon, me dis-je, je n'ai pas du faire attention à la suite quand Vinc' est passé… La Menace, cependant, a l'air assez mal: il place un friend in arrachis alors qu'un piton lui crève les yeux, se bat, et finit, bien plus tard, à rejoindre Vinc' au relais suivant. C'est là qu'il apprend qu'il s'est trompé d'itinéraire, et que ce qu'il vient de gravir est certainement plus dur que le V annoncé ! Une fois le relais installé, Max me crie que je peux partir. Je déséquipe le relais et me lance dans la longueur, chargé du sac à dos. Il ne va pas tarder à me rendre la monnaie de la pièce de mon mépris. En écart très large entre l'écaille énorme et la paroi, je développe sur des prises de pied moyennes pour gagner quelques centimètres jusqu'au piton de sortie de ce passage. Quelque chose me retient vers le bas avec force. Je jette un rapide coup d'œil entre mes jambes: un des élastiques du sac est tendu soixante dix centimètres sous son emplacement habituel. Je me laisse aller un court instant:

"Fait chier ce sac de merde, bordel !"

Je débloque le petit élastique, non sans peine, et ce dernier vient claquer le haut du sac pour reprendre sa place usuelle.

Un peu plus haut, j'aperçois Max au relais, cinq mètres au dessus de ma tête…mais Vincent, dix mètres sur ma droite, à ma hauteur, se débat avec des pas délicats, alors que Matthieu est plus loin. Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? Une vilaine traversée m'attend-elle ? En effet, la longueur suivante, toute en traversée très gazeuse, n'a pas l'air des plus aisées. Pas de chance, c'est pour ma pomme… Je ne rechigne pas à la tâche, reprend les coinceurs et les friends, et attaque sans trop y penser cette longueur de A1. Le départ met en confiance: on remonte vers deux ou trois pitons très rapprochés, en se hissant sur une petite margelle plein gaz ! Un peu à l'aplomb, un ficelou pend dans le vide depuis son piton. Sur ma droite, la margelle se poursuit puis vient mourir à un mètre cinquante d'un piton d'époque équipé d'un bout de corde pour se hisser dans une fissure lisse vers le haut d'un bloc rocheux, où les difficultés s'achèvent. Je tente un ou deux passages en équilibre vers la droite en me positionnant au bord de la margelle. Le dernier piton est quatre bon mètres à ma gauche, une manœuvre impromptue pour attraper le ficelou suivant et c'est le pendule de ma vie… Non, je ne tente pas cette méthode et je vais faire comme mes prédécesseurs, pas la peine de se mettre en exergue ! Avec une grande attention, je regagne le bout de cordelette moisi qui mène vers le bas. Tout en prévenant Max, je pose mes mains sur la margelle, les pieds sont à plat sur la paroi lisse qui file à la verticale vers les arbres cent cinquante bons mètres plus bas. Ambiance ! Je me trouve exactement à l'emplacement où j'avais aperçu Vincent, et je comprends mieux sa position scabreuse ! Rapidement, pour ne pas trop m'entamer les bras, je traverse, les pieds ne servant pratiquement à rien, les bras verrouillés, jusqu'au piton de sortie de la traversée, quelques mètres à droite de la cordelette de désescalade. Je sors une dégaine en vitesse, la mousquetonne au piton sans perdre un instant, puis tire un brin de corde pour m'assurer. Et là, horreur, le tirage est monstre !

"Putain La Menace envoie du mou sur la bicolore, je vais me la coller là !" m'écrie-je, peu enthousiaste à l'idée de prendre un pendule de dix mètres !

Max a libéré pas mal de corde, mais celle-ci ne vient toujours pas, nom de nom, cette fois-ci je vais y aller ! Les bras se gorgent d'acide lactique, les mains glissent, pas question de repoffer, et toujours ce putain de gaz sous les fesses ! Je clippe in arrachis le brin salvateur, et je peux m'effondrer dans mon baudrier, laissant le brave piton supporter mon poids. Je me trouve dans la fissure terminale, que je franchis avec moins de difficultés: les ficelous tiennent bon (nous avons la foi !), et je me sers d'un coinceur pour la progression, je ne fais pas le mètre quatre vingt dix de Monsieur Bordin ! L'arrivée sur une bonne vire d'un mètre de large me fait plaisir: enfin un relais assez confortable, de quoi se remettre un peu de ces émotions !

La longueur suivante, plus facile, n'en est pas moins jolie: une belle traversée orientée vide est suivie par une remontée de dièdre lisse où chacun s'évertue, sans succès, à récupérer un friend abandonné là. Max enchaîne rapidement cette portion, et bientôt, il m'indique que je peux le rejoindre, ce que je m'empresse de faire. Nous sommes installés sur un relais sur pitons, évidemment, pas très confortable, suspendus dans nos baudriers. Matthieu et Vincent sont à l'aplomb de notre emplacement, sur une petite terrasse, à R7.

"C'est une super longueur Romain, je me suis fait super plaisir" déclare un Matthieu enjoué depuis son perchoir. Vinc' s'apprête à repartir.

Je me prépare en récupérant bien vite le matériel de Max, et c'est parti. La première section de ce VIa en fissure déversante est ponctuée d'un petit pas de bloc peu évident. Je le protège en glissant un câblé dans une petite fissure, et j'enchaîne, en essayant de perdre le moins de temps possible. La suite est plus facile, on se retrouve sur une dalle moins raide pendant une dizaine de mètres, puis la roche se raidit de nouveau, devient déversante, un dièdre se forme, une fissure pas toujours facile à valoriser fend le caillou sur dix mètres, puis la sortie à l'air plus aisée. Je place les pieds très en écart, remets un coup de magnésie, et j'effectue les premiers mouvements de cette section athlétique. Un piton, deux pitons, puis la surprise du chef: plus de dégaines ! Je réfléchis un court instant puis me décide à continuer: il me faut sortir au plus vite, ne plus hésiter. Je croise un piton, deux, puis des coins de bois. Dans ma tête, c'est un petit combat: ne pas penser à la chute, rester concentré, assurer les prises de pied et les appuis, grimper vite. Lorsque j'arrive sur les bacs de sortie, le stress s'évacue. Une courte séance de bourrinage plus tard, et je suis sur la plate forme équipée de quatre ou cinq pitons plus ou moins vieux, le coeur battant encore assez fort. Je sors une sangle, récupère des mousquetons où je peux (friends…) pour installer le relais. Je me rends compte que j'ai bien fait de ne pas tomber: cela signifiait sans doute, dans le meilleur des cas (c'est à dire si le piton tient), un atterrissage sur la partie moins raide après le premier pas de bloc, donc des blessures sérieuses… Néanmoins, je ne serai pas le seul à me mettre un bon taquet et une chute potentielle lourde de conséquences: attendons de voir les exploits de Vinc' et Max dans la seconde partie de l'ascension !

Les deux longueurs suivantes, menant à la vire centrale, sont plus aisées, et s'enchaînent rapidement pour les deux cordées. A noter une séance terreur du Matthieu qui se trompe de cheminée dans L9 et s'engage cinq mètres au dessus d'un vieux piton dans un V+ qu'il désescaladera la peur au ventre avant de retrouver l'itinéraire correct. Chaud la Livanos, toujours à l'affût du moindre faux pas ! Sur la vire, La Menace et votre serviteur trouvent encore le moyen de se faire peur: pour gagner du temps, et surtout du confort, nous rangeons les chaussons. Max remet ses baskets de ville, et je renfile mes sandales. Nous voilà lancés dans un court passage rocheux (IV), encordés à cinquante mètres, avec nos souliers d'approche ! Il y a bien eu un ou deux moments où nous étions tous les deux au taquet, à se demander comment bouger, et quelles seraient les conséquences de la chute d'un des deux zouaves. Heureusement, nous sortons les bras, et nous échappons rapidement de cette zone dangereuse, avec un rire franc ! Nous sommes bientôt en compagnie de Matthieu qui assure Vincent. Ce dernier vient d'attaquer la première longueur de la seconde partie, celle dont la fréquentation n'est qu'épisodique. Ce VIa+ à l'ancienne semble poser problèmes à Vinc', ce ne doit pas être bien facile ! Lorsque Matthieu s'y engage, il peste contre son sac, et s'y reprend à plusieurs reprises. Vient ensuite notre tour. Max est motivé, et il tient à enchaîner ce passage en libre. Nous avons déjà neuf ou dix longueurs dans les jambes (et dans les bras), ce n'est pas le même état d'esprit qu'en couenne ! Après un beau combat, il n'hésite pas à plomber sur les pitons ! Une fois le passage délicat derrière lui, le Meusien court jusqu'au relais. Je me hisse sur les pitons et le rejoins en essayant de perdre le moins d'énergie possible. Mes pieds commencent vraiment à souffrir des Five-Ten deux pointures en dessous, et le soleil nous cogne sur le système, nous brûle les épaules et les jambes. Quand il se cache, c'est le vent qui nous gèle l'organe reproducteur, et nous empêche de profiter des moments de repos au relais. Enfin…

Je repars vers un dièdre en V+ qui s'avère présenter un ou deux pas non évidents dans le bas, puis tout s'accélère sur une section plus facile, et je me trouve bientôt en présence de Matthieu au pied de la longueur en VIa dont le topo dit qu'elle possède un "surplomb en rocher pourri". Voilà qui promet. Vincent se bat en ce moment même dans un passage semble-t-il très délicat. Une fissure-renfougne lisse comme le cul d'un bébé, longue de huit mètres, n'est protégée que par un vieux coin de bois en bas, et une merde analogue tout en haut, ceux-ci étant utilisables via des bouts de cordelette complètement hors d'usage, raides comme des bambous, signe que le temps a depuis belle lurette altéré leurs qualités d'origine. Le Fiori protégerait bien sa progression, mais aucun des friends accrochés à son harnais ne convient à cette fissure des plus glauques. Faisant preuve d'un sang froid impressionnant, il fait abstraction des conséquences que pourrait avoir une chute dans ce passage difficile, il oublie l'engagement, pousse avec conviction sur le coin de bois moisi du bas, et se rue le plus vite possible vers le haut des difficultés, s'agrippant sur le coin de bois sommital, et se sortant du passage avec brio, malgré la peur légitime qui fut sûrement la sienne pendant ces courts instants où la vie ne tient pas à grand chose...

En ce qui concerne notre cordée, Maxime est le préposé à cette longueur clé de la voie. Il grimpe bien, se débarrasse du surplomb friable avec une facilité déconcertante, puis se bat dans la fissure au même endroit que Vincent. Le friend qu'il compte utiliser est coincé dans son dos. En somme, c'est la merde ! Utilisant la force de ses énormes bras pour se coincer plus ou moins bien dans la renfougne, il finit par arracher le Camalot n°3, et il le place au fond de la fissure: ça va tout de suite un peu mieux, et il peut ensuite se repositionner pour essayer de sortir de cette longueur assez effrayante. Alors qu'il développe sur le coin de bois, en équilibre instable, un brin de corde vient se coincer dessous, le mettant dans une situation fort délicate.

"Putain de corde de coin de bois de merde fait chier bordel !"

s'exclame une nouvelle fois le très poétique Max, avant de se dégager et de poursuivre son ascension de cette renfougne désormais mythique. Quelle chaleur pour lui aussi ! Matthieu se trouve d'ores et déjà dans la dernière longueur difficile de la voie: un VIb en rocher pourri. Il est pendu sur des ficelous et passe tout en artif. Je commence à voir ma belle confiance s'effondrer. Si ce maudit VIb correspond au VIa précédent mais en plus dur...ça va être ma fête ! Un dernier regard vers Max au relais, c'est sûr, il ne veut pas prendre ma place, et puis de toutes façons, c'est mon tour... Misère !

Les premiers mètres sont assez faciles, mais le rocher est vraiment délité maintenant, et tout et n'importe quoi menace de s'effondrer sous mes doigts et mes pieds. Au bout d'une dizaine de mètres, j'arrive à un premier coin de bois. Après quelques hésitations, je pousse sur le pied droit, qui se trouve sur une bite rocheuse imposante mais branlante, et tire sur le ficelou trentenaire du coin de bois pourri. A ce moment là, j'implore le Dieu du Coin de Bois de se montrer clément... Ca a l'air de tenir ! J'attrape à la volée une cordelette pendant du haut. Je me hisse en tirant dessus comme un forcené pour arriver à son origine: elle est attachée à un coin de bois aussi pourri que le précédent ! Quinze mètres que je n'ai pas croisé un piton valable ! Je mousquetonne sur ma droite un piton horriblement rouillé qui plie sous la charge, assurément un des éléments de Georges Livanos à l'ouverture. C'en est trop, j'ai vraiment le trac: je sors un stopper que je place dans la fissure de gauche, il a l'air d'être bien engagé: je mousquetonne l'autre brin de ma corde dessus, et je respire un peu mieux ! Quelques pas au dessus de ce coinceur, qui constitue ma seule protection a peu près fiable en cas de chute (depuis le relais...), et je fais la rencontre heureuse de deux pitons bétons: je m'empresse de m'assurer, puis je débouche dans une partie bien plus facile, d'où je rejoins un relais ancien sur deux pitons rouillés. Vincent se trouve à l'opposé du couloir de pierres sur ma droite, il me dit qu'ils n'ont pas utilisé ce relais. Je le renforce avec un câblé, et il m'a l'air assez sérieux. Il le faut, car il s'agira sûrement de bloquer Max dans l'ascension: il doit récupérer un peu de matériel, et puis ce n'était tout de même pas facile ce VIb de l'ancien temps, alors avec le maudit sac...

Lorsque La Menace me rejoint, Vinc', qui était vaché à un arbre ridicule de l'autre côté du raide couloir de pierre, a enquillé la longueur suivante, la dernière. Max repart sans même prendre le temps de récupérer le matériel, et il grimpe tellement vite qu'il en oublie de s'arrêter à l'arbuste. Refusant de redescendre, il décide donc d'installer un relais au départ d'une section en rocher surpourri. Le bilan du matériel qu'il possède est vite fait: un friend (mon 75), et un petit coinceur, celui que j'avais utilisé dans le VIb. Il lui faut donc trouver les fissures qui vont avec... C'est le début d'un quart d'heure de bons délires. Morceaux choisis des interventions de Monsieur Bertrand:

"J'ai mis le nut, et j'ai élargi la fissure..."

"Bon, je t'assures pas à la plaquette, j'ai peur qu'en ravalant, ça fasse sortir le friend..."

"Attends, je vais coincer le câblé avec une petite pierre...voilààà"

"OK tu peux partir; relais pas béton..."

Enorme je vous dis ! La dernière longueur, m'incombe donc, est facile, mais totalement improtégeable. Les assiettes empilées sont toutes plus branlantes les unes que les autres, et il faut d'infinies précautions pour ne pas envoyer tout un pan de rocher vers le bas. On touche en moyenne six à huit prises avant de se décider pour une crispette infâme, mais qui a le mérite de ne pas bouger ni sonner creux quand on tapotte dessus... Je débouche sur une petite tourelle gazeuse, puis le plateau sommital est en vue: Vinc' et Matthieu s'y trouvent, ils me conseillent d'établir l'ultime relais sur un gros arbre avant de traverser pour les rejoindre. Max arrive bientôt, nous y sommes !

La partie n'est cependant pas encore tout à fait terminée: il faut maintenant redescendre de notre perchoir. Le plateau est champêtre, herbeux, très vert, mais le vent souffle fort, et il fait froid. Je viens d'arriver, je suis encore chaud. Dans un élan de solidarité et d'héroïsme, j'offre ma polaire à Matthieu, qui grelotte, en échange de son T-Shirt qui me va comme...une chemise de nuit. Nous plions les gaules et décampons vers le départ des rappels, qui reste d'ailleurs à trouver. Je ne tarde pas à regretter mon geste envers le grand blond: ça pèle ici, nom d'un vagin ! De grandes et longues rafales nous glacent les membres, mais sont heureusement entrecoupées de périodes de pseudo- accalmies où il fait une température plus tolérable. Nous nous trouvons enfin au sommet du premier rappel, sur un arbre. Rapidement, nous glissons tels des araignées sur leur fil vers notre dernier relais exigu de la journée: une petite terrasse riche en pitons et en sangles qui ne sont pas de toute première jeunesse...Cinquante mètres plus bas, nous sommes rendus. Il nous reste un court ressaut que nous désescaladerons, puis une longue section de pierriers à dévaler, avant de regagner le chemin de montée...

La journée fut longue, nous retrouvons la petite Saxo vers vingt et une heures ! Nous y découvrons mille trésors: du pain, du chocolat, des gâteaux, un sablé… que des bonnes choses ! Cela fait plus de douze heures que nous sommes partis d'Archiane, notre entreprise était tout de même sérieuse ! Si le couloir en Z s'est refusé à nous pour le moment (mais gare à lui, on n'oublie pas, et on ne se chie pas !), nous n'avons certainement pas perdu notre temps ce week-end, et la course que nous venons d'ajouter à notre palmarès est une bien belle réalisation. Sacré Georges, il avait quand même le sens de l'itinéraire esthétique, et de l'engagement...

Romain Delambert