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Pour le pire et pour le Mayer...

Le BLMS au Mayer-Dibona.


13 et 14 janvier 2001.

Chez certains skieurs extrêmes, la répétition des tentatives et le refus de la montagne à se livrer à eux fait souvent partie du plaisir de l'activité. Pierre Tardivel, célèbre skieur Annecéen, est de ceux-là, lui qui peut se targuer d'avoir descendu des itinéraires qui ne sont enneigés que quelques jours par décennie. Volodia Shahshahani quant à lui, grand défricheur du bassin Grenoblois et de l'Oisans, apprécie d'atteindre un objectif dès son premier essai. Même si nous aussi, au BLMS, nous faisons tout pour réussir une sortie dès lors qu'elle est entreprise, il faut bien reconnaître que parfois, la patience est de mise, et les échecs cuisants. Le couloir Mayer-Dibona, en face Nord-Ouest des Ecrins, se défend ardemment et ne se laisse pas facilement conquérir par les skieurs. Le Mayer, comme nous l'appelons familièrement, c'est d'abord une histoire d'amour entre la Menace et les Ecrins, son massif d'adoption. C'est lui qui a été en premier touché par la beauté et la difficulté de cette entreprise. Il s'y est déjà cassé les dents par deux fois : une première tentative en solitaire, couplée avec un bivouac humide mémorable qui donna lieu à un récit que ne le fut pas moins... Un second essai en compagnie de la Bête, où les conditions glaciaires eurent raison de leur abnégation. Max revient donc dans le vallon de Bonnepierre armé d'une volonté de fer. Matthieu convoite la première en surf de ce morceau de légende, Vincent recherche un défi à la hauteur de son talent. Quant à moi, motivé comme rarement, je rêve de conditions parfaites qui me permettraient de m'offrir une audacieuse première descente en blades de cet effrayant monument.

Nous avions tous de bonnes raisons de nous attaquer à ce 5.4 où, plus qu'ailleurs, l'erreur est interdite. Nous savions néanmoins également que la montagne devrait se montrer clémente, et accepter la présence d'insignifiants petits êtres, venus défier la pesanteur et la glace, dans un monde hostile à toute vie, pour prendre, sur le fil du rasoir, un plaisir fou, pourtant incompréhensible pour le commun des mortels.

Vert ! Enfin ! J'enclenche la première et la Saxo s'arrache de son emplacement en première ligne d'un des feux de l'avenue du Maréchal Foch. A mes côtés, le Borsdin. Il ne nous reste qu'une petite minute pour être à l'heure à la gare, et récupérer la Menace, en provenance de la capitale par le vingt et une heure trente neuf, " tout pimpant, skis au poing ", selon l'expression consacrée. Chacun le sait, la patience n'est pas la qualité première de notre ami, et alors que nous ne sommes qu'à cent cinquante mètres à peine du parking, mon téléphone sonne, et je m'entends dire que nous sommes en retard... Aucun doute, la Menace est là ! Le rapprochement avec Jean Pierre Bonfort s'arrête ici. Max est en costume, en bon financier Parisien, et en guise de skis, une mallette avec son ordinateur portable. Nous avons maintenant rendez-vous chez les Fiori, où une projection du premier film du BLMS doit avoir lieu. Hélas, Matthieu étant aussi distrait que moi, nous devons repasser par les Diables Bleus pour récupérer la cassette, que nous avons lamentablement oubliée un quart d'heure auparavant... Quelques minutes plus tard, nous immobilisons la Saxo sur le parking, à Sassenage. Les retrouvailles sont chaleureuses, et nous passons sans plus attendre au salon, où je finis de caler la bande, pour présenter mon chef d'oeuvre à mes amis...

Comme on pouvait s'y attendre, les railleries vont bon train pendant les huit minutes de pellicule sur le couloir Ouest de la Dent de Burgin, les mauvaises plaisanteries, les critiques, rien ne m'est épargné...mais tout cela se déroule dans une ambiance bon enfant, comme on dit, et de toutes façons, le contraire m'eut vraiment étonné ! Pour une fois que c'est moi qui prends...Après avoir essuyé les bâches de rigueur donc, nous en venons à la conclusion que l'achat d'un petit camescope numérique s'impose, ce qui nous permettrait de filmer nos aventures en neige ou en rocher, et surtout de nous faire de fabuleux souvenirs, que nous pourrions par la suite monter pour en faire un film...Le BLMS va toujours de l'avant !

Avant que tout le monde ne parte se coucher, rendez-vous est pris pour le lendemain, samedi 13 janvier, à deux heures (local), devant le domicile du Borsdin. Nous gagnerons l'Oisans à deux voitures, vu le matériel nécessaire à notre expédition. La Lansb mobile et la fidèle ZX de Vincent sont d'astreinte... Au menu de ce Week-end : montée à la Bérarde à skis depuis Champforent ou plus loin si possible, nuit dans le refuge d'hiver de la CAF, puis ascension et descente à skis du couloir Mayer-Dibona. Un bon programme somme toute, avec près de deux mille mètres de dénivelée le dimanche. Puissent les cieux nous être propices !

La nuit est, pour moi, belle et réparatrice. Comme à l'accoutumée, long coup de fil avec Elsa avant de dormir, puis réveil en furie avec " Les ailes de l'enfer ", un film d'action " featuring " Nicolas Cage et le redoutable John Malkovich. Ah, le DVD... La suite n'est pas triste non plus : Hit Machine sur M6 où je désespère de voir un jour le nouveau titre de Manau " Tout le monde a besoin de tout le monde" (qui est un peu le mien, il faut le dire) en haut des " Charts ". Les rappeurs à tendance Bretonnisante chutent à la vingt neuvième et avant dernière place du classement, ce qui n'est pas de bon augure... Il s'agit ensuite de se botter le train pour préparer le matos. Pour cette sortie, pas le choix : le gros Millet soixante cinq litres s'impose en ce qui me concerne : une paire de skis, une paire de snowblades K2 bien affûtée (bouchage de trous, fartage, affûtage, tout y est passé cette semaine), Carline, polaire, veste Gore-Tex, pantalon, chaussettes, gants, sous-gants, bandeau, lunettes de soleil, puis les crampons, un bon Naja, un brin de corde qui ne servira pas mais bon sait-on jamais, un casque, la gamelle, le réchaud, la cartouche de gaz, les échantillons de sucre, de sel, le saucisson, la brioche, le thé, le Tupperware de polenta, les vivres de course (composées ici exclusivement de barres énergétiques signées Martine, merci Tinou !), et par dessus le marché, mon bon gros duvet bien lourd et bien volumineux ! Une fois les affaires bouclées, un constat de bon sens s'impose : mon sac est un véritable fardeau, me connaissant, je vais devenir fou avant d'arriver au refuge : le sac de couchage est donc débarqué pour être consigné à la maison, et puis s'il fait froid, et bien, tant pis, je ne suis pas au BLMS pour rien... Deux petits voyages jusqu'à l'auto, arrimage des skis sur le toit, et c'est parti. Quelques lignes blanches et passages sur les rails du Tram plus tard, je suis libéré des sens unique qui criblent la ville, et me voici chez Matthieu. Le temps couvert tient toutes ses promesses : il pleut...

Vincent a quelques minutes de retard, cela nous permet de réaliser un petit bloc ouvert par l'infatigable Borsdin sur la façade de son immeuble... Il s'agit tout simplement de monter au premier étage en utilisant rebords et gouttières...amusant ! Les bagages sont tassés dans les voitures, et nous voici partis en direction de Bourg d'Arud, où Max doit, comme d'habitude, récupérer son matériel de montagne. Le trajet se déroule, on s'en doute, dans le plus pur mépris des règles élémentaires du code de la route, avec comme point d'orgue, un dépassement d'attardés en pleine ligne blanche au nez et à la barbe d'une camionnette de gendarmes ! Heureusement pour mon permis, le beau fonctionnaire gribouillait quelque contravention, les yeux dans le volant... Ouf !

Le désormais célèbre chalet Bertrand est glacé : nous nous réfugions tous dans la plus petite pièce, où, chauffage à fond, nous tentons de ne pas geler... Max se hâte de réunir ses affaires et, encore une fois serais-je tenté de dire, rempli la charte du BLMS en oubliant ses crampons ! Une paille, quand on a comme objectif de skier un couloir dont la cotation alpinisme frise le D, et qui est en glace la plupart du temps !

Le temps ne semble pas donner de signe d'amélioration, et vu ce qu'il tombe à Vénosc, nous allons nous tremper jusqu'à l'os sur la route de la Bérarde, skis aux pieds...Sans compter que nous allons nous les peler d'avantage une fois rendus au refuge ! C'est donc plus ou moins à reculons que nous nous dirigeons vers les charriottes... Nous voilà partis ! Les premières traces de neige sur la route apparaissent à Saint Christophe, et à ce moment là, il neige assez fort. Il fait peut-être plus froid que prévu finalement...Je suis alors absolument certain que nous n'irons pas plus loin que Pré-Clot, et Max, qui est dans mon auto, voit son optimisme fondre d'un coup. Pourtant, Vincent et Matthieu ne se posent pas de question, et la petite ZX fait la trace dans la neige fraîche. Le paysage devient rapidement magique : nous quittons toute civilisation, l'Oisans, massif sauvage et austère s'il en est, le devient encore plus en plein hiver, lors d'une bonne chute de neige. Sur notre droite, le vertigineux ravin qui mène, quelques deux cent mètres plus bas, dans les eaux glaciales du Vénéon. Il s'agit de ne pas se la coller, nom de nom ! Tout cela manque un peu de gaieté, et il nous faut du baume au coeur pour attaquer le Mayer : nous y remédions bien vite en envoyant " les bronzés font du ski " dans nos oreilles mélomanes. Bientôt, nous entonnons le refrain comme deux gamins ! La récréation est de courte durée, car voici que la neige craque de plus en plus sous nos pneus et notre voiture finit par refuser d'avancer. Vincent a lui aussi des problèmes, vingt mètres devant. Nous nous mettons rapidement d'accord : on chausse les chaînes, et nous irons jusqu'à la Bérarde, si Dieu veut ! Nous savons que nous risquons d'y laisser les voitures jusqu'au printemps, mais nous n'avons aucune envie de laisser passer cette chance incroyable d'atteindre la Bérarde en carosse à la mi janvier ! L'onglée nous guette, et la pose des chaînes, sous la neige, devient vite douloureuse pour nos extrémités...Enfin, nous y voilà. Nous repartons, avec plus d'adhérence cette fois ! Pas pour longtemps : au bout d'une quinzaine de mètres à peine, ma roue avant gauche déchaîne...

" Aaaaah la pute ! Merde, Max, on a perdu une chaîne "

- Fait chier !

Nous sortons de la chaleur douillette que nous venions enfin de retrouver, et nous nous mettons à l'ouvrage. Une dizaine de minutes plus tard, nous rangeons le piolet qui nous a bien aidé à dégager les bouts de glace récalcitrants qui empêchaient la fermeture des chaînes. Nous regagnons l'habitacle, le montage achevé, et nos doigts gourds, portant les stigmates du travail dans la neige et sur l'essieu avant d'une voiture, sont comme transpercés par de minuscules aiguilles invisibles. C'est l'onglée... Aaah la pute !

La route reprend, tranquillement, et nous avançons avec prudence, profitant pleinement du bonheur d'être encore en voiture et non pas chargés comme des sherpas. Vincent disparaît devant, et je ne parviens pas à le suivre : dès que j'accélère, je patine, et la voiture est très instable au freinage, un bon travers en atteste. Bon, nous continuons doucement. Nous dépassons les Etages, puis débarquons dans le village complètement mort de la Bérarde. Matt et Vinc' sont déjà entrain de décharger la ZX et ils transportent le matériel au refuge. En tentant de me garer, je me rends compte qu'il me manque une chaîne : tout s'explique ! Vinc' accepte de m'accompagner pour retrouver l'objet perdu en cours de route. Nous parcourons tout le trajet en sens inverse, jusqu'à notre aire de chaînage improvisée : rien, nada. Le retour n'apporte rien de plus : cette chaîne a tout bonnement disparu ! Nous pensons alors la trouver coincée sous la voiture, quelque part. Aura-t-elle fait des dégâts ? Pourrons-nous la récupérer aisément ? Dès notre arrivée au campement, nous sommes fixés : la chaîne est effectivement attachée à la Sax, nous la dégageons sans trop de difficultés, puis la remontons convenablement, elle ne devrait plus bouger... Je coince la Saxo contre le mur, nous la déchargeons de son contenu, puis remontons les marches enneigées qui mènent au refuge d'hiver.

Premier constat : c'est impeccable ! Rien à voir avec le refuge du Carrelet qui m'avait laissé une très mauvaise impression : ici, on se sent chez soi... ou presque : il fait bigrement froid (nous relèverons 4-5°C au cours de la nuit, ce qui n'est guère estival). Comme nos conjointes ne sont pas de la partie, nous sommes contents de trouver des couvrantes : elles nous aideront à rester au chaud cette nuit ! Autre bonne nouvelle, puisque nous avons réussi notre pari de venir jusqu'ici en voiture, nous allons bénéficier du portable de Max, et surtout du lecteur DVD ! Est-il besoin de rappeler que j'ai pris le soin de le recharger la nuit dernière ?...Oui, naturellement, ça me permet de me faire mousser... Nous déplions notre barda, alignons les skis dans l'entrée, sortons l'ordinateur, et nous allons nous offrir le luxe de regarder un film sur un appareil de haute technologie, en plein hiver, perdus dans un refuge à la Bérarde, au coeur des Ecrins ! Un cinéma à la Bérarde, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! Nous faisons claquer, pour l'occasion, un bon paquet de Krema : des Régalads, ces sympathiques bonbons aux fruits mais aussi d'horribles créations sataniques, qui sont une bien désagréable surprise quand votre main, plongeant délicatement dans le paquet et brassant allègrement ces petites douceurs s'extrait avec, entre l'index, et le pouce, un papier bicolore blanc-marronnâtre : rien ne peut alors décrire votre déception : vous venez de piocher un infâme Batna ! Une seule chose à faire : le remettre à sa place et recommencer ! Le film se déroule à merveilles : Cameron Poe se trouve emberlificoté dans une sombre histoire de pirates de l'air, où le démoniaque Cyrus Grissom dit " le Virus ", l'inquiétant Garland Greene, comme le militant " Dog " et l'ignoble " Johnny-23 ", font feu de tout bois. Les aventures de Poe et de ses épaules généreuses ne passionnent guère notre Vinc' national qui lance par intermittence de superbes : " Mais ils sont dans un avion là ? ". Vinc' préfère dévorer le livre d'or, ou plutôt carnet de courses du refuge. Autour du petit PC, quatre alpinistes, couvertures sur les genoux, bonnets sur les oreilles, tendent l'oreille pour tenter de grappiller quelques bribes des dialogues souvent soignés. Mythique en somme !

Commencent alors les incessants ballets du Vinc' et du Lansb pour faire fondre de la neige. Nous ne disposons pas d'eau courante, et il nous faut économiser nos gourdes pour le Mayer. Nous effectuons donc quelques allers - retours dehors pour récupérer de la neige, en prenant soin de ne pas s'approvisionner dans les coins pipi choisis par chacun d'entre nous... Cela donne lieu à quelques remarques cocasses :

" Eh, quelqu'un a pissé là, à côté de cette pierre ? " ou encore " Dis, t'as pissé où toi ? "...

Nos deux réchauds tournent à bloc, et dès que nos bols ne contiennent plus que de l'eau, nous leur ajoutons un bon bloc de neige fraîche, qui commence à se transformer à son tour... Au final, nous faisons cuire de la semoule et de la polenta. Il va sans dire que nos deux saucissons sont partis en fumée à l'apéritif, devant le début du film. L'ambiance est tout à fait joyeuse, et rien ne me fait croire à cet instant que la journée suivante nous réserve une mauvaise surprise. Nous sommes tous à peu près sûrs de notre coup, et j'ai confiance en ma bonne étoile. La fin de soirée se passe dans la toute relative chaleur de la pièce principale du refuge, nous lavons les bols dans la neige et faisons fondre encore un peu d'eau pour préparer tisane et thé, avant d'aller se coucher. C'est qu'il est bientôt huit heures et demi ! Nous collons également les peaux, nous chausserons dès les premiers mètres demain.

Une fois allongés sur nos couches, enfouis sous un tas de couvrantes, nous nous laissons aller à quelques discussions bien grasses comme d'habitude, et c'est à ce moment que naît la phrase du jour : " Mieux vaut un but qu'une chute ", de la bouche de votre serviteur. Mes trois compagnons ne sont pas en reste, et les remarques toutes plus fines les unes que les autres filent bon train ! Petit à petit, les vannes sont plus longues à venir, le volume sonore baisse progressivement, jusqu'au silence total. La nuit, installée depuis longtemps sur le ciel des Alpes, nous emporte jusqu'au matin.

Réveil douloureux. Nous n'avons pas tous bien dormi, et il est tout de même tôt. Quatre heure trente, en plein hiver, c'est dur. Ce n'est pas pire que le réveil à minuit le jour de notre mémorable but au Dôme (intoxication au lait frelaté pour moi et sous équipement pour Matt et Vinc'), mais bon...Il me vient tout de suite à l'esprit une phrase de Max, lancée au hasard d'un petit déjeuner à Vénosc, le matin où nous partîmes pour le Vaccivier Occidental. Il faisait très froid à cette époque-là, et nous partions pour une longue journée de montagne dans le vallon des Chardons, lieu glauque et interminable étendue blanche.

" L'alpinisme est vraiment un sport de mongolien attardé. Se lever au beau milieu de la nuit, pour aller se peler le c... " avait déclaré la Menace, et cela m'avait fait énormément rire. Ce matin, dès que nous sommes debout, cela ne va pas trop mal. Je vais dehors pour chercher de la neige à faire fondre, et il ne fait pas si froid que cela. Nous nous organisons, commençons à tasser le matériel dans les sacs, à nous habiller, et à déjeuner. Gâteaux, brioche, mais aussi pain et jambon, c'est de bon coeur que nous nous remplissons la panse. Mais le temps passe, et l'heure de décoller approche. Nous finissons les préparatifs, avec notre propre rite initiatique : chaussette chaude, bien tendue, sans plis, puis la coque gauche, " toujours ". Ensuite, rabattre le pantalon soigneusement sur ma Scarpa, hors de question de se tremper le mollet. Ensuite, le pied droit, " toujours ". Mais laissons là ce benêt de Zidane et sa pub de Volvic pour nous concentrer sur des choses bien plus intéressantes et qui demandent une vraie concentration : le ski de pente raide.

Il est cinq heures trente quand nous nous immisçons dans la pénombre de la nuit, à la lueur de nos frontales. Quelques pas, nous arrimons les sacs sur nos dos, nous ajustons les bretelles, sangles ventrales, claquons les fixes de ski, et nous voilà partis. Quelques mètres seulement pour atteindre un petit ruisseau, qui lutte pour ne pas disparaître complètement sous la couche de neige. Nous dégainons les gourdes et nous nous dépêchons de les remplir comme nous pouvons, avant de choper une de ces saloperies d'onglées. Max a quant à lui préféré poursuivre, il doit avoir le plein. Nous pénétrons, en pleine nuit, dans le parc des Ecrins, puis remontons progressivement vers la moraine du glacier de Bonnepierre. J'étais le dernier au ruisseau, et je suis donc le dernier de la bande. Bien vite, j'éteins ma frontale, et me guide à la lumière de la lune, qui offre une assez bonne visibilité. Je n'ai déjà pas beaucoup de piles, ne les gaspillons pas, et puis c'est tellement plus beau... Max possède quelques minutes d'avance, mais les deux " traceurs " du groupe remettent la louche, et assez rapidement, je suis seul, perdu dans mes pensées.

" J'ai l'impression que je vais encore me faire infuser ", me dis-je tout bas, alors que je fais halte pour ôter ma polaire et me mettre à l'aise en Carline.

C'est assez inhabituel et surprenant pour être souligné ici, mais il n'en est rien. Au contraire ! Petit à petit, me voilà entrain de revenir sur Matt et Vinc' qui ont déjà rejoint le Max. Je n'en crois pas mes yeux : je suis maintenant avec eux, et mieux, je me propose de faire la trace ! C'est chose faite ! Je ne dis pas que les deux lascars étaient à fond de boîte, non, certainement pas, mais j'avoue qu'il est parfois bon pour le moral de faire l'approche devant, ça met en confiance. Pour un objectif tel que celui d'aujourd'hui, ce petit plus me fait le plus grand bien.

" Aujourd'hui, on va rentrer dans l'histoire les gars. Première en surf du Mayer, première en blades, et peut-être même première hivernale ? " , rêve je encore en mon for intérieur.

L'approche est vraiment royale : non seulement le paysage est des plus féériques, mais le froid ne fera son apparition que plus tard et plus haut. Pour couronner le tout, ça dénivelle vraiment bien, nous gagnons de l'altitude sans vraiment le payer physiquement. Vers deux mille cinq cent mètres, nous faisons une pause, le Mayer commence à s'offrir à nous, il émerge de la nuit, froid, stoïque. Au dessus des dernières traces de neige de la face, quatre cent mètres de rocher moyen qui mènent à un sommet dont la beauté nous éclabousse les yeux de là où nous sommes: le Dôme des Ecrins, quatre mille quinze mètres d'altitude. Un sommet que nous avons foulé et que nous avons même skié, mais du côté glacier Blanc, il y a déjà presque quatre mois ! Que le temps passe vite ! A la mi septembre, on nous avait pris pour des fous, grimper deux mille trois cent mètres dont douze cent de portage pour faire un peu de ski sur de la vieille neige médiocre, en risquant de s'envoyer au fond d'une crevasse...quelle bande de tarés ! Au final, nous avions connu une neige poudreuse merveilleuse au Dôme, puis de la transformée de qualité à la Roche Faurio le lendemain, une sortie couronnée de succès, ponctuée par une superbe soirée au refuge des Ecrins. Aujourd'hui, nous sommes là, sur le glacier de Bonnepierre, encerclés de murailles de roc et de glace, remparts inaccessibles culminant pour la plupart à plus de trois mille cinq cent mètres. En face de nous, la montagne reine du vallon, et au centre de sa face Nord Ouest, le Mayer-Dibona, et juste à gauche, la goulotte Boivin, raide, froide, inhospitalière. Un jour, peut-être...

Nous reprenons notre remontée du glacier, le jour se lève doucement, le somptueux couloir Mayer-Dibona nous écrase de ses six cent mètres de hauteur. Vers deux mille six cent mètres, il nous surplombe de toute sa force : de face, un couloir a toujours l'air plus raide qu'il ne l'est réellement. Ici, le Mayer donne l'impression d'être quasiment vertical. Et le fait que nous nous approchions ne semble rien changer à l'affaire. C'est monstrueux, mais c'est d'une grande beauté. Vivement l'action, que la gamberge laisse place à la gestuelle !

Je crois l'avoir déjà mentionné plus haut, mais le Mayer à skis (ou surf), ça se mérite, et les conditions idéales sont rares. Nous ne pouvons pas juger, nous ne serons fixés qu'une fois en haut. Alors que le jour pointe le bout de son nez, le vent se lève, froid, violent. La Boivin est la première à couler. Brrr, rien qu'à voir ce qui en tombe, il ne doit pas faire bon s'y trouver ! Mes amis ont fait une bonne pause, j'ai préféré continuer, donc je vadrouille en tête sur le glacier, et je poursuis ma route. Le Mayer se met à couler lui aussi, et bientôt la vue que nous en avons se trouble : on devine le couloir, derrière un voile de neige quasi permanent, plus ou moins intense par moments. Je n'y pense pas trop, et me concentre sur une petite revanche que je compte prendre : à la Roche Faurio, j'étais parti très lentement du refuge, contrairement aux deux fusées habituelles, et la Bête, pour me ridiculiser, avait pris une photo de moi au grand angle. Le résultat avait été à la hauteur de ses espérances ; un minuscule point perdu au milieu d'un océan de neige et de crevasses : on avait l'impression que j'avais une heure de retard ! Aujourd'hui, je carbure dès que je les perds de vue, me mettant volontiers dans le " rouge ", puis, dès qu'ils apparaissent au loin, je prends un cliché. Tout sourire, je range mon petit mu2 dans la poche de ma Gore-Tex. Mission accomplie !

Lorsque les trois compères me rejoignent, ils ont délibéré : le Mayer craint trop, nous prenons un but. Je reconnais bien là le choix de la raison, mais j'étais surmotivé, et l'idée d'abandonner me déchire. Il faut pourtant bien se rendre à l'évidence, se mettre dans cette face par ce temps est extrêmement risqué, trop aléatoire. La Menace et moi-même accusons le coup quelques instants, alors que Matt et Vinc' ont déjà embrayé sur ce qui devient notre solution de repli : la face Nord de la Tête du Flambeau, puisque le Col de Bonnepierre, lui aussi 5.4, est soufflé par les vents qui n'ont pas l'air de vouloir se calmer. Nous voici donc élancés, dans la tumulte, vers un 5.2 bien moins esthétique que notre mythique objectif initial. Il y a bien moins d'entrain que ce matin dans les rangs du BLMS ! Vinc', bille en tête, trace la route dans la poudre et s'élève dans la pente, dont la déclivité augmente progressivement. Matthieu le suit, se débarrasse rapidement du surf qu'il trimballe depuis ce matin, et repart. Enfin, Max et moi suivons, tristes de nous rabattre sur cette pente bien moins prestigieuse. D'un coup, Max doit s'arrêter. Devant lui, une rimaye monstrueuse d'un mètre de large et de plusieurs mètres de fond jusqu'au premier bouchon ! Elle ne s'arrête certainement pas là, sa profondeur réelle se compte à n'en pas douter en dizaines de mètres... Nos amis sont-ils passés par là ? Impossible ! Et pourtant si ! Seulement, lors de leur passage, le faible pont à neige qui se trouve maintenant en contrebas dans l'antre de la crevasse tenait encore... Ils ont eu un de ces bols ! Cela fait maintenant deux fois que nous avons énormément de chance avec les franchissements de rimayes, veillons à ne pas trop forcer le destin le prochain coup... Toujours est-il que Max et moi devons trouver une solution de repli : chacun de notre côté, nous franchissons l'obstacle à skis (à pieds, nous pensons que cet obstacle était infranchissable, du moins sans assurance), serrant les fesses, sondant à l'aide du bâton avant chaque mouvement pour s'assurer que le pont tiendra, ne serait ce que le temps de notre passage ! Au dessus, je lâche mes skis pour décoller vers le haut, blades sur le sac. Une pioche en main, inutile de chausser les crampons. Matt et Vinc' ont les leurs, mais Max n'en a pas, et j'ai la flemme... C'est parti pour une bonne séance de fractionné, et je gagne du terrain sur le Borsdin, qui évolue au dessus dans la face. D'ici, cet itinéraire a bien plus de gueule que d'en bas : la pente est raide, mais pas trop (quarante six degrés au clignomètre du grand blond), et l'ambiance est au rendez-vous. Ce n'est finalement pas si mal d'avoir l'occasion de se rabattre ici ! Dès que je dépasse Matthieu, je pense pouvoir profiter maintenant des traces du Vinc', encore plus haut. Erreur ! Le vent souffle maintenant ici aussi, et toutes les deux minutes, une coulée de trente secondes rebouche les traces et nous enneige les mains et le piolet... Ceci est encore plus énervant pour Max, qui, ayant pris le temps de bien installer ses skis et son matos sur son sac, s'apprêtait à foutre la gomme dans les marches : tout est à refaire pour lui ! Vincent ne se dirige quant à lui plus en traversée vers la droite, comme prévu, mais fonce droit sous une barre rocheuse pour se mettre à l'abri. Non, décidément, la chance refuse de nous sourire aujourd'hui, nous n'irons pas en haut... Une fois réunis là haut, nous chaussons les skis, pestant contre ce vent et ces coulées qui nous pourrissent la journée.

La descente de la face ne sera qu'une longue séance photo. Je n'ai pas fait de virage en blades depuis avril et la face Nord des Rochères, mais au bout de deux trois courbes, les réflexes reviennent. Vincent et Maxime, comme à leur habitude, nous offrent du grand ski, technique et propre, alors que Matthieu confirme ses progrès en se montrant très esthétique lui aussi. Quant à moi, je me fais plaisir avec mes engins, avant de retrouver mes skis un peu plus bas, pour changer de méthode de glisse, et prolonger le plaisir ! La pente n'est pas ridicule, mais l'exposition n'a rien de comparable avec d'autres réalisations du BLMS, et puis c'est tout de même court (deux cent cinquante mètres environ). En somme, c'est de la pente raide, pas du ski extrême... Dans le bas, le vent a crée des plaques, et il s'agit de faire attention à ne pas se faire embarquer par l'une d'entre elles... Matthieu envoie son surf droit dans la pente pour ne pas avoir à le porter, et le récupère quelques minutes plus tard au beau milieu du glacier. La suite de la descente est plus pénible, surtout à cause du vent violent, et je n'aspire qu'à une chose : retrouver le refuge, puis rentrer à la maison. La partie de ski de combat sous la moraine du glacier de Bonnepierre ne m'enchante guère, chacun sait que ce n'est pas ma tasse de thé, et je finis par m'énerver sérieusement, hésitant même à fracasser un de mes bâtons comme je le fais parfois...Mais cela finirait par me coûter un peu cher, et je parviens à me maîtriser...

De retour au refuge, il fait vraiment bon : le soleil cogne sur la Bérarde, nous allons devoir quitter les lieux au plus vite avant qu'une coulée ne coupe la route et condamne nos autos à un séjour forcé en montagne d'une durée de trois mois... Nous récupérons tout ce qui traîne, plions bagage, et nous embarquons dans les voitures. La glace contenu dans nos passages de roues a gelé pendant la nuit, et nos suspensions n'ont quasiment plus droit à aucun débattement ! La moindre irrégularité de la route, et c'est un " bang " sourd qui se fait entendre ! Nous parvenons à améliorer un peu les choses à l'aide d'un piolet, mais ce n'est pas parfait, loin de là ! Max et moi faisons une bonne halte à Vénosc, où nous dévorons les chips et pistaches qui traînent dans le chalet, tous deux recroquevillés autour du petit radiateur électrique de la petite pièce du haut... Il faisait assez faim à vrai dire, nous n'avons pratiquement rien avalé de la journée (trois barres d'amande et quelques Regalads en ce qui me concerne. Aucun Batna à signaler !). Vinc et Matt ont regagné la ville sans plus attendre.

Notre descente vers Grenoble se fait dans la joie, la bonne humeur, la courtoisie, et le respect des autres usagers de la route que nous croisons et doublons. Ou pas ! Une bonne partie de conduite de combat, avec notamment un duel victorieux face à une 911, fort mal pilotée il est vrai. Mais quel panard ! Il faut dire que le dimanche après-midi, deux catégories d'imbéciles occupent les routes : les touristes qui ne sortent leur Kia 4x4 " tout terrain " (avec sièges en cuir, lecteur CD, climatisation et GPS) que le week-end, et dont les réflexes sont aussi aiguisés que les carres de mes blades...et les flics, tout de bleu vêtus, à la recherche des moyens les plus malhonnêtes (radars pompe à fric, régime élevé en agglomération...) pour faire rentrer des sous dans les caisses de l'Etat. Tempi o tempi...

Nous voici au bout du voyage pour cette fois : dimanche soir, restaurant Chinois " Le Dragon d'Or ", près de la gare pour que Max ne rate pas son train de retour. Mariane et Vincent sont là, Matthieu, la Menace, et moi-même. Un repas en forme de bilan, concluant une sortie qui s'est soldée par un échec, mais qui nous laissera tout de même des souvenirs fabuleux, une camaraderie et une amitié encore renforcées...de quoi souder le groupe encore d'avantage, cela nous servira sans doute prochainement, à skis, en mixte, glace, ou en rocher, pour nos projets futurs. Certes, cette expérience sera profitable, mais l'important est qu'elle fut d'abord un grand plaisir. Non, le véritable clou du week-end, au restaurant, fut de découvrir, en plus de Max en costard, notre amie Mariane... maquillée ! Ce qui m'amène au dicton...Chinois lui aussi (mais alors très ancien, il est possible que vous ne l'ayez jamais entendu) :

" Peu importe que le Mayer tu n'aies pas skié Si tu as vu la belle Mariane pomponnée... "

Romain de Lambert