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La Bouse, le Chamois, et la Vierge.

Dôme des Ecrins & Roche Faurio à skis
Annotations de Vincent Fiori


23-24 septembre 2000

Un être s'éteint, un autre s'éveille. Cette phrase destinée à l'origine à une eau minérale naturelle bien connue s'applique à merveilles au cas du petit Romain. Une nouvelle vie commence en effet pour moi en ce mois de septembre, une vie de travailleur... Je sais bien que ce terme fera sourire la quasi totalité des lecteurs de ce récit, mais c'est pourtant vrai. Le 11 septembre 2000, je rejoins Vinc' et Max dans le monde fantastique des " ingénieurs qui brassent des millions "... Cela ne m'empêche pas de continuer à pratiquer la montagne très régulièrement. Eux non plus, d'ailleurs...

Ainsi, alors que je m'apprêtais à passer une après-midi confortable devant ma télévision, je reçois un coup de fil surprise de Vinc'. Nous sommes le samedi 16 septembre, et le Vinc' a des fourmis dans les jambes. Moi qui commençait à culpabiliser de rester chez moi par ce grand beau temps. Nous décidons d'aller faire un tour à la Bérarde, histoire de roder la 206 Hdi flambant neuve du couple Fiori... Le temps de faire quelques courses chez Leclerc, lieu de prédilection des beaufs de classe mondiale, de me couper la moitié du doigt avec une bouteille piégée, et nous voici sur le départ. Quelques feuilles de papier toilette gorgées de sang rouge vif constituent un pansement de choix, et nous pouvons embarquer dans l'auto rutilante de Marianne. Un départ plus que tardif (17h à la Bérarde), une tenue vestimentaire légère (T-Shirt) et un fromage Corse pour compagnon, et nous voici lancés à l'assaut de la Grande Aiguille. Une promenade sur le plat en direction de la Pilatte vous aurait parue plus raisonnable ? Moi aussi, pour tout vous avouer, mais quand Monsieur Fiori veut aller " bricoler ", cela se solde rarement par une balade pour octogénaires...Deux heures et demi plus tard, il fait froid, l'ascension est un tantinet scabreuse, et la descente de nuit s'annonce délicate. Nous renonçons à plus de trois mille cent mètres d'altitude... Le coucher de soleil qui s'offre à nous est d'une grande beauté. Nous restons béats d'admiration devant ce ciel orangé qui vire au rouge, devant les vagues de nuages qui glissent lentement au loin. Le ciel s'assombrit et nous donne l'impression que nous sommes chez nous, dans l'intimité. La Meije et son cortège de dents, le Rateau, le Dôme et la Barre des Ecrins, Ailefroide, plus modestement la Maye et Tête Blanche sont nos invités. Le jour se meurt et nous en pleurons presque de joie.

Le lendemain, nous arpentons de nouveau les sentiers et éboulis d'une montagne mythique, l'Obiou, dans le Dévoluy. L'ascension, débutée fort tard (17h aussi, ne perdons pas les bonnes habitudes !), est cette fois avalée en moins d'une heure et cinquante minutes... ce qui fait une moyenne horaire très honorable, imposée par Vinc', " Monsieur Bricolage " le bien nommé ! Le panorama vaut le détour, et notre vue s'étend du massif du Mont Blanc au Nord, jusqu'au Ventoux au Sud ! En somme, un week-end aux difficultés techniques réduites, mais au plaisir bien présent. Décidément, la montagne réserve toujours de fabuleuses surprises à ses habitués...

La sortie suivante s'improvise plus ou moins le jeudi de la semaine d'après. Matthieu doit faire sa rentrée au Team puisque la belle Lily est attendue à Lyon pour reprendre ses cours à TPE. Il s'agit donc de choisir une course qui soit un peu plus sérieuse. Nous pensons tous à une belle sortie d'alpinisme, en altitude pour l'ambiance, mais secrètement, chacun d'entre nous rêve de chausser les planches. C'est pourquoi, lorsque le Dôme des Ecrins est évoqué, nous sommes rapidement emballés. Ce sera donc notre destination. Cependant, la route jusqu'au Pré de Madame Carle étant longue, il s'agit de rentabiliser la sortie. Nous décidons donc de partir dès le vendredi soir, et de passer deux jours dans le coin, pour " bricoler "...

Départ du boulot vers 18h30, skis au poing et Dynacham sur le dos. La Saxo attend patiemment son heure avant d'en découdre. Les Atomic Toucap Guide qui ont attiré de nombreuses questions de la part des collègues néophytes sont maintenant arrimés sur le toit, et je roule en direction de la gare de Grenoble. Bientôt, le 18h58 d'Annecy entre en gare. A son bord, Matthieu Bordin, tout pimpant, juste vêtu de son marcel à la coupe ratée. Beaucoup de plaisir à la vue du célèbre blondinet qui ne tarde pas à installer son barda dans l'auto. Nous nous frayons un passage parmi les usagers de la route pour nous rendre à Sassenage, où nous sommes attendus pour dîner...

Le souper se passe dans la joie et la bonne humeur. Mariane et Vincent sont égaux à eux-mêmes, et nous nous gavons de pâtes et de " Picodons " (spécialité locale chez les Fiori). Comme d'habitude quand on se sent bien, on a du mal à s'échapper du confort et de la chaleur de leur appartement...et c'est vers 21h35 seulement que tout le matériel est installé dans la Saxo. Nous embarquons et mettons la gomme, direction Briançon. Petite nouveauté qui mérite d'être signalée, Vincent nous a dégotté des Arva pour cette sortie. Nous les embarquons, tout comme les pelles vont avec. Sur la route, la courtoisie est de mise, et nous roulons propre, mais efficace.

(V.F : Signalons tout de même les désormais classiques dépassements " de toutes façons ça passe à trois " de notre pilote, et les pressions mises sans relâche à grand coups de klaxon et d'appels de phares aux quelques traînards ayant la malchance de rouler dans le même sens que nous. La route menant au Lautaret présentant, en plus, plusieurs feux tricolores, somme toute très mal calculés. Heureusement, la Saxo est daltonienne ! Aussi, une petite discussion sur les chances de réussite de notre entreprise alpine qui faillit se solder par un trajet à Chamonix, où la neige est, semble t-il tombée en abondance)

Une heure trois quarts plus tard, nous immobilisons la Saxo encore soufflante au Pré de Madame Carle, depuis longtemps endormi. Nous décidons de ne pas remuer ciel et terre au refuge pour deux ou trois heures de sommeil. Nous déballons donc le matériel à la lumière de nos frontales, et l'entreposons dans l'herbe, en espérant que l'humidité ne sera pas trop tenace ! Les chaussures et vêtements ont droit à une petite place dans la voiture, tout comme moi : je rabats le siège arrière (je commence à y être habitué) me glisse dans mon duvet, et tente de fermer l'oeil. Le souvenir de mes vacances avec Elsa est omniprésent : comment la Saxo et moi-même pourrions-nous l'oublier ? Autour de moi dans l'habitacle exigu de l'auto, des oranges, du pain, des TR12, une veste Gore-Tex... Matthieu et Vincent disposent d'une petite tente et dormiront dans l'herbe à proximité. Il est minuit quand nous sommes installés pour la nuit, qui sera courte : en effet, nous avons fixé l'heure de réveil à trois heures ! Difficile de se refaire une santé en si peu de temps, surtout quand notre abri n'a rien d'un trois étoiles !

Trois heures deux. C'est ce que mes yeux mi clos parviennent à déchiffrer sur le cadran illuminé de la Suunto. Je viens mécaniquement d'en arrêter la sonnerie. Blotti dans mon duvet, bien au chaud, je pense à la longue journée qui nous attend, et j'ai plutôt envie de rester couché ! Bientôt, à travers la vitre embuée de la voiture, j'aperçois une frontale qui gigote : ils sont levés eux aussi. Debout là dedans ! A l'extérieur, il fait frisquet, mais rien de bien extrême, la journée risque d'être chaude plus tard. Il nous faut près d'une heure pour être prêts : faire chauffer de l'eau, se répartir les charges, choisir la nourriture de course que nous allons emporter, décider de laisser les pelles à la voiture, démonter la tente, ranger les sacs de couchage...tout cela prend du temps, forcément. Il est quatre heures quand nous chargeons sur nos épaules nos lourds sacs, et empruntons le sentier qui se dirige vers le Glacier Blanc. Les skis sont sanglés, ils seront de la partie, mais nous ne sommes absolument pas sûrs que la neige présente nous permettra d'en faire usage.

(V.F : La lune, en se levant, nous fait deviner que les chutes de neige ont vraisemblablement été très faibles dans le Briançonnais : La face Sud de la Barre, à quatre mille cent mètres, ne présentant que quelques névés clairsemés. Rien à voir, donc, à altitude égale, avec la neige dans Belledonne qui a plâtré les sommets au dessus de deux mille mètres)

Le début de l'ascension se déroule sur un sentier de bonne qualité. La frontale nous est utile parfois, mais la plupart du temps, la lumière de la lune nous suffit pour avancer. Nous avons environ deux mille deux cent mètres de dénivelée à gravir, et une bonne moitié avec les sacs chargés à bloc...il s'agit de ne pas se mettre dans le rouge d'entrée ! Une fois parvenus dans la vallée glaciaire, nous perdons plus ou moins la sente pierreuse, et nous nous trouvons devant un obstacle de taille : le torrent glaciaire dont on s'acquitte normalement par un solide pont de bois. Seulement voilà, de nuit, avec des frontales, on ne voit pas bien loin, et nous l'avons manifestement raté.

(V.F : Mea culpa, le pont de bois, Matt et moi le connaissons bien, mais on vise un passage pourtant emprunté plusieurs fois, qui doit nous permettre de gagner du temps sous le refuge. Erreur qui nous coûtera je pense vingt minutes et de la fatigue supplémentaire. On ira même jusqu'à réitérer l'expérience, une nouvelle fois fâcheuse, à la descente).

Il va donc falloir franchir ce foutu torrent comme on peut... Bien évidemment, cela ne rate pas, et, mal réveillé, je réussis à y plonger les deux jambes jusqu'aux genoux ! Une sensation de froid intense envahit instantanément mes pieds. Dès que je suis rendu de l'autre côté, je m'empresse d'ôter mes coques : je vide de chacune d'entre elles le contenu d'un verre d'eau, sous les sourires de mes compagnons. Les coques plastiques ne sont pas un problème en soi, ce sont les chaussons à l'intérieur qui vont m'ennuyer. Ils sont, pour chacun des pieds et comme les chaussettes d'ailleurs, à tordre. J'essore mes chaussettes et je parviens à en dégager une bonne dose de flotte, mais elles resteront très humides, lourdes, et très froides. Une fois ma petite lessive effectuée, le plus dur reste à faire. A cinq heures du matin, à plus de deux mille trois cent mètres d'altitude, au bord d'un glacier, renfiler chaussettes, chausson, et coques trempées...rien de plus désagréable !

(V.F Temps record le pré-Glacier Blanc : deux heures !)

Nous reprenons notre ascension, et parvenons au refuge du Glacier Blanc par un itinéraire pour le moins original : Vincent et Matthieu, après une partie commune avec moi, virent à droite, alors que je remonte un pierrier sur la gauche...au final, je les rejoins, mais aucun d'entre nous n'est parvenu à rester sur le sentier prévu à cet effet. Pas toujours facile de se diriger la nuit à la frontale... La route est encore longue, la marche fatiguante, mais le jour se lève doucement et nous permet de découvrir avec émerveillement le décors somptueux qui sera le théâtre de nos réalisations ce week-end...Vers deux mille huit cent cinquante mètres d'altitude, nous sommes sur la rive gauche du glacier, très ouvert, et nous décidons de chausser les skis. Il fait encore très froid, et nous en ressentons les morsures lorsque nous effectuons une pause pour coller les peaux et manger un bout. Une fois équipés, et soulagés du poids que les skis représentaient sur le dos, nous attaquons la remontée du glacier, louvoyant entre les crevasses bleues, immobiles, morbides, qui n'attendent qu'une erreur de notre part. Vincent trouve le bon cheminement, Matthieu et moi devons faire demi-tour pour emprunter sa trace. Nous étions en train de nous empêtrer dans les méandres du glacier, alors que le Vinc' avait de son côté trouvé une faille pour rester en bordure sur la rive gauche. Nous remontons le glacier sur nos planches bien aimées, sans corde, bénéficiant de la bonne répartition de la masse pour ne pas passer à travers les ponts de neige. Ils sont de toutes façons solides à cette heure-ci... A noter un bon bout de rigolade sur une expression Dioise, " Ca pègue ". Considérant que Matthieu n'a pas forcément saisi l'explication de Vincent, j'en profite pour en remettre une couche avec une illustration d'ordre sexuel qui sera le véritable fil rouge de ces deux jours. A la cote trois mille quatre vingt, un peu après avoir dépassé l'éperon sur lequel trône le refuge où nous passeront la prochaine nuit, Matthieu et Vincent posent le camp. Je les rejoins, et nous sortons le réchaud, la bouffe, pour se refaire une santé. Nous prenons notre temps, et profitons de ce répit délicieux. J'enfile à l'occasion une paire de chaussettes sèches, et mets aussitôt les autres au soleil. Il fait grand beau, le soleil donne déjà, cela promet ! Ce long arrêt nous fera le plus grand bien, nous permettant de charger les accus avant de donner l'assaut ! Le Dôme est là, plus très loin, de l'autre côté du glacier. Les séracs énormes qui bardent la face de toutes parts attendent tranquillement le moment de s'effondrer. Tout en haut, la calotte, qui nous domine encore d'un millier de mètres, distance qu'il nous faudra grappiller pas à pas...Une fois rassasiés, nous laissons tout ce qui n'est pas utile sur les caillasses qui bordent le glacier : la bouffe pour la nuit, les frontales...

C'est donc bien plus légers que nous rattaquons notre progression vers le sommet. D'ici, nous pouvons admirer la Barre, qui n'est manifestement pas en conditions, mais qui demeure magnifique. Il est près de neuf heures et demi, le soleil donne, mais nous ne sommes pas inquiets pour autant : la neige devrait être bonne ! Toujours vers l'Ouest, toujours vers le haut du glacier que nous empruntons depuis plusieurs heures maintenant, nous remontons encore trois quarts d'heure vers le Col des Ecrins, puis bifurquons sur notre gauche pour rejoindre le pied de la face. Lorsque je dis nous, je pense ici à Vincent et moi. Quid du Matthieu ? Eh bien il fait un " pit-stop ". Ayant oublié le papier toilette (cela fait du poids inutile...), nous sommes dans l'obligation de faire nos besoins " à l'ancienne ". Nous savons que nous allons devoir y passer au cours de ces deux jours, et c'est au blondinet que revient l'honneur d'ouvrir le bal. Il nous somme de nous tirer avant de vaquer à ses occupations, en plein milieu du glacier, skis aux pieds. J'avoue que je ne peux résister au plaisir, cent mètres plus haut, de me retourner pour profiter du spectacle. Au milieu du cirque, accroupi comme s'il était en plein schuss, les fesses à l'air, le Bordin se soulage. Mon manque de discrétion me fait repérer, et un " Enculé ! " amplement mérité parvient jusqu'à mes oreilles...

Le début de la phase finale de l'ascension, situé à trois mille trois cent mètres d'altitude " environ " (pour reprendre une expression chère à Patrick Vallençant), se déroule dans une pente d'une trentaine de degrés maximum, et est menacée par la première rangée de séracs, les plus impressionnants peut-être. Nous restons dans la mesure du possible sur notre gauche, mais le danger demeure. S'ils choisissent de se désunir de la paroi, nous n'auront pas grand chance de nous en sortir... La pente s'accentue un peu, la neige est dure, je décide de mettre les crabes et de ranger les skis. Vincent, très habile en peaux, continue. Le temps d'effectuer l'opération, de fixer les skis et les bâtons sur le Dynacham, et Matthieu m'est repassé devant. En neige dure, je cramponne efficacement, et me félicite d'avoir opté pour cette tactique. Cent cinquante mètres plus haut à peine, cependant, la neige redevient molle, et j'enfonce jusqu'aux genoux, déployant une énergie considérable pour avancer. Le Vinc' en rajoute une couche en me prévenant que la suite est apparemment très crevassée... C'est bon, j'ai compris, je range les crampons et je rechausse mes planches ! Encore un peu de temps de perdu. Le dernier passage sous les gros séracs est un peu technique, comme le notera également Matthieu. La poudre fait parfois place à un peu de glace ou de neige très dure, qui rend la progression un tantinet scabreuse en peaux. Nous traversons ensuite sur la gauche de la face en évitant les crevasses que l'on voit ou que l'on devine, pour contourner définitivement les premiers séracs. Ce faisant, on se met entre les mains du Dieu de la seconde rangée de séracs...et l'on passe à l'ombre. L'altitude augmente, doucement certes, mais nous commençons à en sentir les effets. Matthieu me semble proche de moi, je pourrai presque lui parler sans hurler...mais en prenant des repères, je me rends compte qu'il me faut presque dix minutes pour arriver à son emplacement précédent ! Le " On se chie pas " Team, qui s'est fait une réputation sur les organes reproducteurs de ses adhérents, et sur sa rapidité, défraye la chronique avec un chrono tout à fait quelconque ! Que se passe-t-il ? Je me retourne souvent pour regarder la Meije, me rendant compte, à mon grand désespoir, qu'elle culmine encore bien plus haut que moi...alors qu'elle ne côte que trois mille neuf cent quatre vingt trois mètres, soit une trentaine de moins que notre objectif du jour ! Un peu plus tard, Vincent attaque la dernière traversée, sous la barre et sa rimaye bien connue. Nous ne tardons pas à l'imiter, je constate même avec joie que je remonte légèrement sur Matthieu, qui souffre un peu de l'altitude. Cette traversée quasi horizontale permet aux grimpeurs émérites qui ont plus de deux mille mètres dans les jambes de jouir d'un panorama vraiment unique...Un moment de répit physique et d'épanouissement mental très précieux.

Vincent déchausse les skis, enfile ses crampons, et s'élance à l'assaut de la calotte, peut-être cinquante mètres sous le sommet.

(V.F Je ne sors pas mon piolet et charge les skis sur le sac, comptant skier sur la neige collée sur la glace. Mais la glace s'avère noire et dure. Les skis sont maintenant de trop, et le piolet resté sur le sac m'oblige à monter à quatre pattes sur cette pente à 40°. L'arrivée au sommet est digne de l'ascension d'un huit mille : Mal de crâne et vertiges sont au rendez-vous et indiquent que cette fois la machine est fatiguée, et que plus de deux mille mètres de dénivelée en haute montagne en début de saison c'est un peu trop)

Ce doit être glacé ! Lorsque je rejoins Matthieu à l'endroit où nous déposons les sacs pour porter l'estocade, je souffle comme un asthmathique : l'altitude me donne à mon tour la tête qui tourne... Matthieu part pour le sommet alors que Vincent redescend, je me ravitaille et avale deux Balisto. Il est déjà treize heures, bon Dieu que nous avons été lents ! Neuf heures d'efforts ! (Entrecoupées de pauses gargantuesques mais quand même !) Des crabes qui mordent la glace, un piolet qui ancre, nous entendons Matthieu redescendre , et je me sens d'attaque pour aller fouler le Dôme à mon tour. Une cinquantaine de mètres en glace vive me sépare du bonheur. Un piolet et deux crampons, je suis rapidement sur l'arête, quelques pas, et c'est fait : le sommet du Dôme des Ecrins, quatre mille quinze mètres, par un jour de grand beau temps, et, luxe suprême, seul ! Je savoure ces quelques instants de plaisir, reprends mon souffle, puis entame la désescalade jusqu'à mes amis, qui sont en train de s'équiper pour le ski. Alors que je suis de retour parmi eux, je me rends compte qu'ils ont eu la gentillesse, pour faire gagner du temps au groupe, d'enlever mes peaux de phoque : je n'ai qu'à plier les clous, serrer les coques, faire claquer les fixations, enfiler les dragones, et nous voilà tous fin prêts à savourer ce pour quoi nous venons de souffrir pendant de si longues heures ! Le soleil cogne vraiment très fort, et Vincent craint les avalanches. Il est vrai qu'une observation sensée des conditions et du terrain peuvent lui donner raison : nous partons sans plus tarder.

(V.F : Pourtant, la neige n'a pas bougée sur toute la face. Soleil rasant et altitude ont eu raison d'un isotherme pourtant élevé vers quatre mille mètres. Mon empressement fut vraiment injustifié a posteriori, et nous a privé d'une pause collégiale au sommet...Dommage)

Une centaine de mètres à longer la barre vers l'Est pour regagner la face principale nous permet de faire parler la glisse de nos skis fraîchement fartés (désolé Matt !). Vincent attaque la face, je le suis : la neige, poudreuse, est un régal...par endroits. En effet, si l'on s'aventure trop dans la partie droite de la face, elle s'avère changeante, ce qui causera de belles figures de style, aussi bien du côté de Matthieu que du mien. Le grand blond, puisqu'on parle de lui, tarde à arriver. Explication : ses skis ont botté, il a passé du temps à décoller la neige avec son bâton. La descente est, comme toujours, trop courte, et la qualité de la neige, très bonne, nous fait oublier les efforts consentis en sens inverse...Il fait chaud, et depuis longtemps : nous sommes bien contents d'être sur des planches et non pas à pieds, où le risque de se mettre dans une crevasse doit être assez élevé ! Le temps d'une ou deux photos de ski, et nous sommes au pied de la face. Nous ne notons aucune trace d'avalanche qui, selon les dires des gens que nous rencontrerons au refuge, a balayé nos traces de montée... La suite : descente schuss ou grandes courbes sur le Glacier Blanc en direction du refuge, et avant cela, de notre " camp de base " où gisent nos affaires. C'est là que l'on a pu se rendre compte qu'il vaut mieux être léger et avoir des skis affûtés que plus lourd avec des Hagan peu entretenus...n'est-ce pas Mister Matt, qui s'est fait infuser par les deux criquets de service, alors que notre Golgoth national nous prend près de vingt kilos !

Il est à peine deux heures quand nous déchaussons, nous mettons à l'aise (torse nu, en chaussettes...) sur notre petit nid rocheux au bord du glacier. Râ crame sans merci nos visages pourtant protégés par la crème indice 15 de Vincent... Le réchaud, du thé, la soif, des gâteaux, des oranges, la faim. Nous nous remettons d'aplomb. Au menu du jour : de la semoule cuite à l'eau, sans aucun additif, mangée avec les doigts...pas très propre, mais à ce moment précis, ce fut un régal...non disons un mets correct...non, disons, enfin, ça passait ! Rigoler, discuter, profiter du privilège d'être en montagne, observer la nature, se raconter ses sensations, des moments de bonheur. Scruter aussi, scruter la Barre Blanche en l'occurrence : c'est là que nous avons trouvé matière à alimenter la discussion pendant deux jours...Je repère dans la face une icône ressemblant à s'y méprendre à une représentation de la Vierge, qui aurait été taillée dans le roc, en pleine paroi rocheuse. Impressionnant ! Les jumelles nous permettent d'en avoir une vue plus nette, cassant le mythe, naturellement, mais l'effet d'optique est saisissant. Vincent saisit la balle au bond et propose à notre curiosité un chamois gigantesque, posé sur une aiguille. Il est vrai que d'où nous sommes, cela ressemble bigrement à un chamois. Seconde étrangeté... Matthieu ne trouvant pas de curiosité sur la roche, nous lui attribuons celle dont il a gratifié la montagne : la bouse qu'il a délicatement posée au milieu du Glacier Blanc, et qui sera indiquée sur la prochaine carte IGN Meije-Pelvoux ! Je ne devrai pas taquiner le Bordin à ce sujet : c'est bientôt mon tour d'aller au petit coin ! Je m'éloigne un peu du campement, sur nos traces de descente, en longeant la rive du glacier. Une vingtaine de mètres plus loin, je peux m'accroupir et m'exécuter... J'ai pris mes précautions, et le papier d'emballage d'une des miches de pain me permet d'être propre comme à la ville ! Au retour, je m'éloigne d'un mètre de la trace pour vidanger. Voilà que ma jambe droite s'enfonce dans le sol comme dans du beurre, et ce jusqu'à la hanche : je me débats et sors du trou : il donne sur une crevasse noire dont on ne voit pas le fond ! Ceci à moins d'un mètre de la roche bordant le glacier ! J'aurai eu l'air malin torse nu au fond de cette prison de glace...Cet épisode nous rappelle qu'il nous faut rester vigilant, tout le temps, même à cinq mètres du camp ! Nous sommes d'une flemme rare : s'il s'agit de bouger ses fesses, ou seulement son bras d'ailleurs, de plus de quarante centimètres, plus personne n'est partant. Besoin de crème solaire (c'est pourtant important) ? Ah, elle est dans les filets du sac de Vincent, et il faut que l'un d'entre nous se lève pour l'atteindre... Tant pis, le soleil, ça ne peut pas faire de mal de toutes façons ! Une envie de petits gâteaux secs ? Dans le sachet, là bas, près des bâtons...Bof, ils ne sont pas terribles ces biscuits... En somme, l'inertie ambiante est incroyable ! Nous sommes vidés. C'est d'ailleurs pourquoi nous restons plantés là, à nous faire bouffer par les rayons brûlants de l'astre du jour : la perspective de remballer le bazar qui nous entoure et de se taper les cent mètres de dénivelée qui mènent au refuge, perché sur l'éperon rocheux au dessus de nos têtes, nous décourage d'entrée. Plus tard dans l'après-midi, nous nous décidons : il nous faut de l'ombre, de la fraîcheur, et surtout, des lits ! Nous bouclons les sacs à la hâte, chaussons nos skis pour une petite centaine de mètres, où nous les abandonneront, ainsi que ce qui ne nous est pas nécessaire. Inutile de se trimballer du poids supplémentaire jusqu'au refuge, avec pour contrainte de se le redescendre demain matin à l'aube. Ces articles peuvent très bien passer la nuit là, les voleurs sur glacier se font rares en cette saison...

(V.F : A propos de la crème solaire, je la cherche au sommet du Dôme sans succès, sentant que le soleil est en train de me ravager la face. En fait, elle a glissé du sac lors de notre première pause en montant, et fut retrouvée avec soulagement au bord d'une crevasse, percée par le bec d'un volatile curieux de goûter ce mets glaciaire. Mais il n'est pas à son goût et préfère le laisser là. A noter que sans ce tube, notre entreprise avait toute les chances de tourner court, ou alors nous serions (encore) rentrés noirs, puis roses, puis blancs).

Nous sommes forts heureux de pousser la porte du refuge des Ecrins, à trois mille cent soixante quinze mètres d'altitude. Il s'agit d'une belle bâtisse, qui mérite la dénomination de refuge d'hiver uniquement parce qu'il est non gardé, mais le confort y est tout à fait acceptable. Nous nous mettons à l'ouvrage dès notre arrivée. Otées, mises à sécher, les chaussettes trempées de sueur et d'eau ! Aérés, posés sur le rebord de vitre en plein soleil, les chaussons des coques, humides à souhait ! Aaah ! Que c'est bon de respirer un peu, de laisser nos pieds meurtris reprendre quelques couleurs ! Chacun d'entre nous a ses petits soucis. Pour Vincent, c'est la plante des pieds qui a été la cible des Scarpa oranges les plus célèbres de tout Grenoble. Pour ma part, j'ai les mollets à vif : le frottement pendant de longues heures dans les chaussettes mouillés m'a poli les jambes jusqu'au sang, et me voici flanqué de quatre cercles rouges, parfaitement épilés, et parfaitement douloureux...j'en connais un qui ne va pas rigoler quand il renfilera ses coques demain ! Seul Matthieu ne se plaint pas : ses TR12 sont apparemment très confortables, et il peut donc (à juste titre) faire le malin en pourrissant nos chaussures...

(V.F : Pour la décharge de la marque Scarpa, j'ai eu une paire de TR9, ancêtre des Bordin shoes, qui me flinguaient de la même manière mes orteils. Disons plutôt que les pieds de Matt sont à l'image du personnage : indestructibles)

Prochaine étape de notre vie en refuge : la préparation du dîner ! Pour cela, rien que des ingrédients de choix, avec notamment le foie gras de Monsieur B'Ordin (je sais, j'écorche l'orthographe, mais j'essaye de lui coller une particule sur ce coup là). Il nous faut chercher de l'eau, le refuge en étant dépourvu. Quelques mètres en contrebas, dans les blocs raides qui composent notre petit pic rocheux, coulent quelques filets d'eau. Nous nous munissons de bouteilles vides gracieusement mises à la disposition des alpinistes, et sortons, en gardant nos chaussons en caoutchouc, bien connus de ceux qui fréquentent les refuges. Vincent Fiori, lui-même, aussi habile qu'un cabri dans les pierriers, doté d'un sens de l'équilibre hors du commun et d'une grande classe à skis, élégant dans les pentes les plus raides, se rate telle une grand-mère en descendant les escaliers métalliques extérieurs ! Ceux-ci mènent à une petite terrasse dominant le Glacier Blanc, et offrant une vue magnifique. Au pied des marches, un rocher, tout ce qu'il y a de plus classique. Le Vinc', peu attentif, s'y engage, la démarche décontractée et le nez en l'air. La boîte, aussi inopinée qu'amusante, est imminente : les jambes en l'air, le dos à l'horizontale et les bras en arrière, brassant l'air désespérément à la recherche du sol, c'est l'arrêt sur image que j'ai encore en mémoire. L'instant d'après est des plus classiques : Vincent gît le cul par terre, ses bouteilles à la main, hilare !

(V.F : La chute fut, vue de l'intérieur, d'une célérité extrême, zip et me voilà par terre. Pas le temps de faire quoi que ce soit...)

Le dîner se passe dans la bonne humeur : nous avons suffisamment à manger, nous nous permettons même d'échanger un peu de foie gras contre un verre de vinasse... Bientôt, deux jeunes garçons entrent au refuge, demandant à nos voisins à qui appartiennent les skis laissés au bord du glacier. Ce sont les nôtres, mais curieusement, les adolescents n'osent pas venir nous parler directement, et posent leurs questions aux autres personnes, espérant sans doute que celles-ci aient entendu nos conversations... Ils sont en ski eux aussi, et projettent de faire le Dôme demain matin. Les plaisanteries directement inspirées de " C'est arrivé près de chez vous " fusent, leur " mauvaise peau " est au centre de nos rigolades pas très gentilles, avouons-le ! Mais l'affrontement est inévitable. Ils se rapprochent, et l'un d'eux ose nous adresser une requête. De sa voix hésitant encore entre l'enfance et l'âge adulte, il se permet :

" Excusez-moi, je peux vous emprunter le bouchon, là, je vous le ramène dès que nous aurons rempli nos bouteilles ".

L'occasion de faire un peu d'humour est trop bonne, je ne résiste pas au plaisir de les surprendre.

- Non, ce n'est malheureusement pas possible.

Rassuré, le gamin croit à une blague, se détend, sourit, saisit le bouchon.

- Non, je ne plaisantais pas ! Nous en avons besoin, vraiment !

Son sourire se crispe, puis disparaît. Il perd de l'assurance, c'est sûr, le voilà à notre merci.

- Mais...c'est pas très sympa ça....

Grand seigneur, je ressors un fameux " Lambert sourire ", et lâche, princier :

- Allons bon, tu peux le prendre, va !

Pas très sympa, il est vrai, mais, comme disaient nos amis les Nuls, " C'est bon de rire parfois "...

Une fois rassasiés, nous ne rêvons que d'une chose : nous coucher. Nous sommes sur le pied de guerre depuis trois heures du matin, et le moins que l'on puisse dire, c'est que la journée a été longue ! Nous nous rendons donc, une fois les affaires rangées, dans le dortoir d'hiver du refuge. Il y fait froid, c'est une certitude ! L'ambiance se réchauffera quand nous y serons plus nombreux, mais pour l'instant, c'est une vraie chambre froide ! Brrrr ! Nous nous glissons sur les couchettes en squattant un nombre déraisonnable de couvertures : environ trois par personne ! La suite, je ne saurais vous la décrire : j'ai dormi comme un bébé dans ce havre de paix, comme c'est souvent le cas. Matthieu et Vincent se sont bien reposés, mais j'ai cru comprendre que leur sommeil avait été plus léger.

Six heures. Les deux énergumènes qui dorment à mes côtés me bottent le cul. On avait pourtant dit six heures et quart, mais me griller mon dernier moment de sommeil est devenu une de leurs spécialités ! Les infâmes ! A cet instant, je souhaite que leurs organes génitaux décrépitent et tombent ! Ce court moment de colère passé, nous nous rendons dans la salle principale, faisons chauffer du thé, et déjeunons tranquillement. Les autres habitants des lieux sont partis (anormalement) tôt pour viser la barre, nous sommes presque seuls dans les locaux ! Nous sommes détendus, reposés, et cela fait une vraie différence ! La séance de chaussage est délicate et se fait dans la souffrance, tant pour Vinc' que pour moi, le blondinet étant, je le rappelle, épargné. Nous repartons frais comme des gardons, et nous acquittons de la descente de notre promontoire en une petite dizaine de minutes. Bientôt, nous sommes aux skis, et nous vidons les sacs de ce qui ne nous sera pas impérieusement nécessaire. Les peaux, qui ont séché au refuge, sont collées sur les lattes, les sacs sont harnachés sur nos épaules, et nous voilà repartis vers l'Ouest, en direction de la Roche Faurio, notre but ce matin. Sept cent mètres de dénivelée seulement, serait-on tenté de dire. Voilà qui devrait être avalé rapidement, avec nos globules fabriquées pendant la nuit ! Je me sens plutôt en forme, j'ai bien dormi, et c'est avec surprise et un certain agacement que je constate l'écart de vitesse me séparant de Vincent et Matthieu, qui tracent devant. Bah, ce n'est rien, je vais les rejoindre, ils vont se calmer...Que nenni ! Alors qu'ils bifurquent à droite sur les contrepentes de Faurio, j'ai accumulé un retard certain ! Merde, comment se fait-il ? Je les rejoins de longues minutes plus tard, étourdi par leur rythme. Vincent a la mine des mauvais jours...Comme toujours, il se refuse de mettre en cause qui ou quoi que ce soit, mais il exige que j'allège mon sac en lui donnant du matériel...ce qui revient au même ! L'affaire est cependant plus grave que je ne le croyais : il s'empare de mes skis ! Je proteste énergiquement ! Non, pas mes skis, le moral en prend un sacré coup ! Il n'en fait rien, et me voici léger comme l'air ! Je chausse les crampons, alors que les deux autres sont déjà dans la partie raide du bombé.

(V.F : Ce passage mérite des explications : Matt et moi avons distancé notre scribe d'au moins cinq minutes, sur vingt minutes de glisse, et c'est vrai que cela m'inquiète pour le reste de notre randonnée, alors que nous entamons la montée proprement dite. Aussi, si je prends tes skis c'est parce que dans ton sac il n'y a rien à prendre !)

Alors que je m'apprête à partir, je m'aperçois que mon embout de Camelpack a fichu le camp : j'ai perdu toute mon eau ! Rien pour me réhydrater ce matin donc, il faudra taxer les camarades au sommet ! Je redescends une cinquantaine de mètres en direction du glacier, en vain. Je reprends alors ma course vers le haut, plus question d'être à la rue alors que je grimpe " à vide " ! A peine cent mètres au dessus, la face redevient crevassée, la neige, déjà exposée au soleil, plus molle, nous rechaussons. Cette fois, mon orgueil en a pris un coup : je fous la gomme, quitte à me mettre dans le rouge ! Matthieu et Vincent sont déjà partis, ils zigzaguent sur le glacier pour éviter la monstrueuse rimaye barrant l'accès à la seconde partie intéressante de la face, menant au sommet, ou presque. Je désolidarise les Grade 8 de mes coques, chausse les skis en vitesse, et me lance à l'assaut de la Roche Faurio. Nous traversons sur la gauche de la face, jusqu'à la crête, avant de reprendre plein Nord, pour franchir un petit passage rocheux, à pieds. C'est au départ de ce mini passage de mixte que je rejoins les deux échappés. Hors de question de m'attirer les " foudres " du Vincent une nouvelle fois !

(V.F : Pas les foudres, tout cela se fait selon moi dans un bon esprit de groupe, avec juste le souci d'équilibre entre les membres. Demain Romain, je te demanderai de tracer dans la peuf, et de porter mon sac si besoin).

Nous poursuivons skis au dos, avant d'arriver à la zone terminale, rocheuse. Nous déposons les skis, sacs, prenons les bâtons, et nous poursuivons notre élan vers le haut. Nous débouchons, vers trois mille sept cent mètres, sur le départ d'une arête rocheuse très gazeuse, et pas évidente à première vue. Bah, peu importe, nous sommes là pour skier, redescendons chausser ! Que nenni, Matthieu, puriste devant l'éternel, retire ses gants, pose les mains sur le rocher froid, grattonne en TR, puis se hisse, quelques pas délicats plus tard, sur le haut de l'arête. Il continue, nous affirmant que c'est facile à partir de là. Aucune trace à l'endroit où nous nous trouvons, personne de doit souvent terminer l'ascension de la Roche Faurio. Vincent et moi hésitons : sans corde, c'est un peu tangent, et puis, merde, skions ! Nous décidons de ne pas suivre le grand blond...mais quand même, je m'engage dans les premiers mètres de traversée pour voir, comme ça...on ne se refait pas... Quelques instants plus tard, Vincent s'acquitte à son tour de la difficulté, et nous voici sur les traces de notre Savoyard préféré ! Le parcours d'arête est délicat : rocher bon, mais très froid, quelques centaines de mètres de vide sous les fesses en face Nord...et chaussures de ski au pieds ! Matthieu se trouve à la borne IGN indiquant trois mille sept cent trente mètres, le sommet de la Roche Faurio. Vincent et moi, gavés par cette excursion pas prévue au programme, en resterons à trois mille sept cent vingt neuf...

Nous désescaladons prudemment jusqu'à nos planches, je trouve le moyen de travailler la VMA en oubliant de récupérer les bâtons au départ de la partie rocheuse de l'ascension... La descente est, comme hier, royale : neige transformée, mais pente pas assez raide (trente cinq degrés maximum), ce qui écourte le plaisir, qui reste cependant très grisant ! Le soleil continue de nous faire fondre la figure, crème solaire ou pas... Nous sommes fatigués, notre autre petit projet du jour n'est pas prêt de passer au soleil, et faire du cinquante en neige béton en début de saison...très peu pour nous ! Nous faisons donc parler la glisse jusqu'à notre petit camp de base, où nous allons manger une dernière fois, puis plier bagages définitivement, pour redescendre dans la vallée !

(V.F : Dans cette fin de descente, au bas de Roche Faurio, l'ambiance est extraordinaire avec le Dôme qui nous domine, le soleil déjà haut dans le ciel, l'immensité du site. Le long plat, trop long à pied, mais fabuleux à ski. On se laisse glisser, pas de virages à faire, pas la peine de regarder devant. On peut contempler à droite les faces froides qui défilent. On peut se retourner pour voir la Barre s'éloigner. Enfin, quand le glacier se courbe en plongeant vers le Sud, on s'arrête pour essayer de graver cette image de l'Oisans, jusqu'à la prochaine fois que l'on repassera ici et où l'on éprouvera le même émerveillement.)

Nous recroiserons nos amis les jeunes, redescendant du Dôme, encordés sur des skis (qu'importe le danger, tant qu'on tient une promesse faite à ses parents...). La conversation est cette fois un peu plus constructive, et nous les quittons en bons termes ! Un petit peu de ski jusqu'à ce que le glacier nous en empêche, mettant sur notre route crevasses béantes et glace vive...Vers deux mille huit cent cinquante mètres, nous déchaussons pour de bon. Que dire de la descente qui suivit ? Elle fut longue, douloureuse pour les pieds, intriguante pour les randonneurs du dimanche que nous avons croisés à plus faible altitude, et donc pénible pour nous trois.

Le plus grand plaisir de ce dimanche ? Je vais vous le décrire : ils s'agit du moment où nous avons dégrafé nos coques, arraché nos chaussons, et déroulé les chaussettes gluantes collées à nos pieds depuis trente heures...Quel instant de plaisir fou ! Seul un rapport sexuel de bonne qualité peut approcher les sensations qui furent les notres en ces moments uniques ! Le temps de constater les dégâts physiques sur nos extrémités, de goûter, de prendre une photo souvenir du matériel éparpillé à cinq mètres à la ronde de la Saxo, de plier la tente, ranger le barda...bien plus tard, l'heure de quitter les lieux sonne. A peine avions-nous passé la seconde à la sortie du Pré de Madame Carle, que nous tombons sur deux jeunes auto-stoppeurs : nos collègues, cherchant à aller téléphoner aux leurs pour que l'on vienne les chercher ! Dans notre grande bonté, et pour leur prouver que nous ne sommes pas de mauvais bougres, nous en prenons un à bord. Le temps d'affirmer quelques conneries (" j'aurais dû skier le Dôme, même en glace vive, plutôt que d'y monter en crampons, où je suis peu à l'aise, bien que je fasse de l'alpinisme avec Christophe Moulin " ! ! !), et nous le déposons à Ailefroide. La longue route vers la capitale des Alpes pouvait commencer...

Romain de Lambert