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Banco à Bonnepierre
Annulation aux Agneaux
Dans la collection Suprême A Skis
28-30 avril 2001

Deux mois et demi se sont maintenant écoulés depuis ma dernière sortie officielle avec le très sélect BLMS. Le 17 février 2001, on s'en souvient, je me blessais à l'épaule droite sur le plateau d'Arsine, goûtais aux délices de l'attente interminable dans la neige avec une luxation, et découvrais les joies de l'évacuation par hélicoptère. C'était le début d'une longue traversée du désert, de moments de frustration et de récupération. Depuis quelques temps maintenant, je sais que je serai opéré le 22 mai prochain par le professeur Goutallier de l'épaule droite, six ans après être passé entre ses mains pour l' articulation de gauche. Je sais également que quelle que soit l'opération effectuée (latarjet ou bien retente capsulaire pour les connaisseurs…), je devrai m'astreindre à une période d'inactivité forcée de quatre mois. Ceci fait que mon retour sur les pentes enneigées ne devrait se faire qu'à l'orée de l'automne 2001, de quoi me laisser sur la touche un bon moment… J'ai ainsi passé la fin de l'hiver et le début du printemps à suivre, de trop loin malheureusement, l'évolution de mes camarades de jeu, félicitant Max pour son arrivée plus que méritée dans le clan des extrémistes, et applaudissant l'affirmation de mes trois compères dans le domaine de la haute difficulté. Si mon enthousiasme pour leurs exploits n'était pas feint, je ne pouvais m'empêcher de penser que j'aurais pu avoir ma place parmi eux si je n'étais pas, à cause de ce maudit accident, " sorti du système " au mauvais moment. La semaine précédent cette funeste expérience, nous avions réalisé coup sur coup le couloir Nord de l'Infernet, un véritable mythe pour tout skieur de pente raide, et la face Sud Ouest des Mourres Rouges, un itinéraire délicat et de grande beauté dans le Valjouffrey. En somme, j'étais à mon meilleur niveau, et j'avais la sensation que le meilleur restait à venir. Le retour de mes vieux démons de 1994 (ma grande époque de cycliste…) avait tout flanqué par terre, et j'étais donc contraint de suivre tout ceci en spectateur.

Cela tombait particulièrement mal pour plusieurs raisons : tout d'abord, après un hiver plutôt pauvre en neige, le printemps s'annonçait sous de bien meilleures auspices, ce dont avaient sû profiter les deux autres Grenoblois de service, le Vonk et le Borsdin. En signant la première de la face Nord Ouest de Chauvetane (VF : couloir des aupillous car à gauche de la breche de philippe dixit shasha, it.130 labande tome III???), les deux sociétaires du BLMS frappaient un grand coup dans la mare du petit monde du ski extrême. Ensuite, parce que cet exploit parmi d'autres, ajouté aux débats houleux lancés par la décote systématique faite par le BLMS des itinéraires très difficiles, avait lancé la machine médiatique locale, et braqué les feux sur notre désormais célèbre association. Fabrice Roulier, que nous connaissions de nom et de réputation pour être probablement l'un des tout meilleurs skieurs de " skirando.ch ", prenait contact avec nous sur le Web, et certaines personnes, amatrices de difficultés extrêmes, n'hésitaient pas à opposer le BLMS au Fab dans des articles élogieux. Ainsi, tout le gratin du ski de montagne local prenait parti pour l'un ou pour l'autre, ou se lançait dans le débat épineux des cotations, ou celui, plus large, des premières, répétitions, etc… Le maître Volodia Shahshahani en personne rentrait même dans le cercle des relations du BLMS, tout comme son élève, Lionel Tassan, en pleine rédaction d'un nouveau Topo, " Ecrins Sud ". En somme, le BLMS commençait à voir ses réalisations reconnues par un plus grand nombre de personnes. Même si la gloire nationale n'est toujours pas de mise, une petite reconnaissance fait toujours plaisir.

De mon côté, rien de bien nouveau. On ne pouvait pas dire que j'étais très malheureux, simplement la montagne, escalade et alpinisme comme ski, était mise entre parenthèses dans ma vie. J'avais profité de ce repos forcé pour travailler mon Corse, qui atteignait désormais un niveau tout à fait satisfaisant, j'avais passé de très agréables moments avec la douce Elsa, en Corse, à Grenoble, à Paris, en Savoie, ou même en Bretagne, et j'avais également eu l'occasion d'accueillir ma très chère Tonia Poli, autrement dit ma grand mère ! Une vie normale donc, heureuse souvent, même si je tentais de mettre en hibernation ma soif de sommets. Mon épaule retrouvait peu à peu sa mobilité, sa force, et passées cinq ou six semaines, je n'avais pratiquement plus mal. En cette fin de mois d'avril, je me sentais très bien, en manque de globules certes, mais en forme, modulo l'épée de Damoclès qui pesait au dessus de ma tête. Alors que Xérox nous imposait de faire le pont les 1er et 8 mai, grillant à l'occasion deux jours RTT, je commençais à gamberger. Le 8 mai, c'était prévu depuis plusieurs mois, direction Bastia, pour passer quatre jours avec la fille que j'aime plus que tout au monde. Mais la semaine précédente ? Moux, le beau meusien, était annoncé dans la capitale des Alpes, au volant de sa petite 106 rouge. Le BLMS serait donc au grand complet et chacun de ses membres bénéficiait d'un créneau de quatre jours ! Sûr, il allait forcément se passer quelque chose. Allais-je être de la partie ? J'avais grand besoin de m'aérer, de sortir en montagne, retrouver les glaciers, les sommets, les pentes, les couloirs, le goût et l'odeur du rocher, de la neige, de la glace. Intérieurement, je commençais à me décider : je suivrai le BMS à pieds, les accompagnant jusqu'en haut de leur objectif, ça me ferait toujours une belle course d'alpinisme, et puis au moins, comme ça, je ferai plus que limiter le risque de me luxer une épaule, chose qui m'était formellement interdite à trois semaines de mon opération tant attendue. Ceci m'empêchait de sortir les Atomic, mais à bien y réfléchir, rien ne contre indiquait la pratique des skiboards, à condition que je puisse bloquer mon bras droit dans les passages à risque pour mon épaule. Secrètement, je commençais à songer à une éventuelle participation active aux réalisations de ce premier week-end de mai. Une paire de raquettes pour l'approche, puis des crampons et des piolets pour l'ascension, et enfin deux Blades affûtés pour signer un retentissant come-back. Le projet avait de quoi me séduire, et petit à petit, l'idée faisait son chemin dans mon petit cerveau de " skieur furieux ", dixit certains membres de mon entourage.

Vendredi 27 avril 2001. Après-midi des plus calmes au travail, chacun attendant, tel le collégien la dernière heure avant les vacances, la sonnerie libératrice. Matthieu et Lily m'ont accompagné la veille au soir pour assister au concert de " Shane Cough " à la salle " le Ciel ", avec " the Garçon " en première partie. Le sympathique Alban Philouze, mon cousin germain, bassiste du groupe, nous fait passer une bien agréable soirée, et même Lily apprécie le spectacle déjanté offert par le groupe breton.

Une prestation qui est sans rappeler le groupe…Manau, rien à voir donc, mais il fallait bien que je le case celui-là… Désolé ! Je suis encore en train d'essuyer les remarques sarcastiques de mes collègues concernant la notion de " rock électronique " quand Vincent prend contact avec moi, et me ramène dans le fabuleux monde de la montagne : demain, nouvelle tentative au Mayer-Dibona. La seconde pour lui comme pour moi, puisque dans ma tête de vilain cabochard, j'ai déjà décidé d'y aller, la quatrième pour Max qui rêve depuis longtemps de ce couloir mythique, " le plus beau des Ecrins " selon lui. Matthieu, quant à lui, passera la journée du samedi en compagnie de sa Lily adorée, ils iront à Chamonix promener leurs spatules. Cela donnera au grand blond l'occasion de faire halluciner les skieurs-touristes du coin en se passant de baudrier, de couteaux, et en faisant sa propre trace ! Décidément, la faune Chamoniarde n'a rien à voir avec les individus isolés traînant leurs skis dans les couloirs austères de l'Oisans ! Le truculent Annecéen ne sera donc pas de la partie sur ce coup là, mais son retour au sein du quatuor haut en couleurs que nous formons est programmé dès le dimanche. D'ici là, il reste encore une heure ou deux à tirer avant de s'en retourner chez soi pour préparer l'aventure. Le temps de se rendre compte via le Web que le Mayer, couloir tout de même très peu skié, devrait recevoir la visite, ce samedi justement, de Fabrice Roulier lui-même, ainsi que d'Olivier Torinesi, compagnon traditionnel du sus-nommé, flanqué d'un inconnu, un certain Martin, rencontré le jour même par Topolino ! Du coup, cela risque de faire du monde dans le couloir, et si tel était le cas, vu les projections et les coulées qui risqueraient d'envoyer du monde dans la rimaye, nous sommes déjà prêts à nous rabattre sur le couloir juste sur la droite, le Col de Bonnepierre, lui aussi coté 5.4, et qui n'est pas forcément moins esthétique. Nous verrons bien, rien n'est encore perdu pour le Mayer Dibona, foi de BLMS !

Max se rendra directement de Paris à Vénosc, en passant par la case embouteillages. Nous lui donnons rendez-vous à trois heures quarante cinq chez lui, au chalet Bertrand. Vincent et moi nous y rendrons en Clio RS, première sortie également de la nouvelle Lansb mobile avec le BLMS. De retour à la maison, je suis fou de joie ! Je prends un plaisir oublié depuis trop longtemps à choisir mon matériel et à préparer mon sac. Le Mayer, c'est du sérieux : un Naja pour la goulotte, un piolet moins technique pour le reste. Les fidèles 2F pour l'ascension, les blades, le fuseau, ma polaire Millet fétiche, mon " Buff " qui me servira de bonnet, les lunettes, le Camp Startech, de la cordelette, les gants, les Scarpa extirpées du placard, tout cela sent bon le ski ! Coup de fil à mon amoureuse, et c'est parti pour une nuit des plus courtes : deux grosses heures, avant de me lever et de me faire chauffer un bon plat de pâtes… Je ne sais pas encore si le Mayer m'offrira les conditions idéales, mais je sais que même en cas de but, je suis très heureux d'aller faire un tour dans le Vallon de Bonnepierre, un endroit d'une beauté sauvage et d'un calme remarquables.

Les pâtes en guise de petit déjeuner, ce n'est pas fameux, mais étant donnée que je n'ai pas mangé grand chose hier soir, pas le choix. D'autant que, skis interdits, je me vois obligé de remonter tout le vallon raquettes aux pieds, de quoi perdre énormément de temps sur les deux autres gugusses qui se baladerons sur des lattes… Je me force donc à ingurgiter le plus de sucres lents possible, et vers trois heures, je quitte le boulevard des Diables Bleus, sac et Blades au dos, chaussures et vêtements techniques à la main.

" Brrooom "… La clio vient de s'éveiller. Je referme le garage, enclenche la première, et zou, direction le Parc du Roy pour récupérer le Vontss, avant de filer en direction de Bourg d'Oisans, et de grimer jusqu'à Vénosc, puis la Bérarde, départ de la course du jour. La journée commence plutôt mal puisque, alors que j'étais tout à fait dans les temps, je me vois arrêté par la gendarmerie à trois cent mètres de chez les Fiori. Les apercevant avant qu'il ne soit trop tard, j'ai réussi à ne pas griller un feu au prix d'un freinage très appuyé (ABS sur le sec…) qui a du me faire remarquer. Bilan : contrôle des papiers que, par chance, j'ai emmenés aujourd'hui, observation du véhicule sous tous les angles, recommandations de conduite, bref, j'ai droit à la totale, et me voici désormais avec un quart d'heure de retard au rendez-vous. Un retard que notre Vonk national, que la moindre minute hors délai insupporte au plus haut point, m'a déjà signalé par téléphone, alors que j'étais en compagnie de ces messieurs en uniforme ! Bref, nous décollons sans plus tarder, et suite aux injonctions du Vink, je suis obligé de cruiser à cent soixante dix, cent quatre vingt kilomètres heure et ainsi de gaver le deux litres de sans plomb… Misère ! Nous arrivons à Vénosc, chargeons les affaires du Moux, et repartons sans même prendre le temps de faire une petite sieste ou d'écouter un morceau de Tina Arena, la seule musique que la chaîne du chalet accepte de jouer…

La route de la Bérarde n'offre aucune résistance, et nous immobilisons le véhicule au cœur du village, à quelques pas du sentier de départ. Le temps de s'habiller, pas très chaudement, la température étant bien douce, de boucler les sacs, enfiler les dragones, et nous voici sur le départ, les lumières du célèbre village s'éloignant peu à peu à mesure que nous pénétrons dans le parc national des Ecrins et nous enfonçons dans la montagne, frontale vissée sur le crâne. Il est cinq heures moins le quart. Le début de l'ascension est des plus conviviaux : nous sommes regroupés, nous discutons même un peu le coup. Le temps pour Vinc' de faire monter son cœur en température, puis nous ne le reverrons plus, il s'envolera vers le haut de façon ahurissante, décidément ce garçon tient une de ces formes ! Max et moi sommes plus en retrait comme de coutume, nous préférons admirer le paysage, car il est bien connu que nous pourrions suivre le rythme sans problème, si nous le désirions… Ou pas ! Cela a toujours été le cas, même lorsque nous étions bien entraînés… Les premiers névés font leur apparition rapidement, et avec eux les premiers éboulis avalancheux, les bouboules comme nous les appelons dans le jargon. Rien à voir avec l'Infernet, mais tout de même, ce type d'obstacle n'est jamais sympathique à surmonter.

Très rapidement, Max va lui-même prendre de l'avance sur moi. L'explication principale ? Le réglage des fameuses raquettes alors que ces messieurs enclenchent leurs fixations et commencent à glisser sur la neige dès que nous la rencontrons. Je libère les excroissances jaunes que Mariane m'a généreusement prêtées, fixées sur mon Dynacham, et m'efforce de voir comment se fait le réglage. Le temps de comprendre, de faire quelques essais avec mes coques, de trouver un compromis satisfaisant entre le " trop ample " et " trop difficile à enfiler ", et me voici de nouveau en marche, seul. Le petit quart d'heure de retard que je viens de prendre restera constant par rapport à Max, mais Vincent continuera de me foutre une vraie branlée, et je suis poli. Il fait vraiment bon, et même si le vent se lève lorsque nous prenons de l'altitude, (chose commune dans ce vallon), je reste en Carline. Quelques frontales loin derrière nous me font penser que Torinesi est peut-être à nos trousses (Roulier ayant prévu de bivouaquer sur le glacier), mais bientôt les lumières bifurquent vers le Chatelleret, ce n'était donc qu'une fausse alerte. Le jour se lève progressivement, et nous continuons à gagner de l'altitude. Petit à petit, le sommet du Dôme n'est plus seul dans notre champ de vision : le haut du couloir Mayer Dibona se présente à nous au fur et à mesure que nous grimpons sur la moraine du glacier, et vers deux mille trois cent mètres, il est là, majestueux, imperturbable, presque immuable. Je l'imagine s'adressant à nous, pauvres mortels, si petits, si vulnérables, si ridicules, venus le conquérir et le dompter : " Tiens, encore vous ? Vous n'en avez pas marre de venir vous casser les dents ici ? Vous croyez que vous m'aurez aujourd'hui ? Nous verrons bien ! ". Oui, nous verrons bien, mais d'ici là, il faut monter, encore et toujours, se rapprocher de cette face impressionnante. Le vent est modéré, rien à voir avec les rafales de notre précédente tentative, qui s'était soldée, faut-il le rappeler, par un échec cuisant. Vers deux mille quatre cent mètres, alors que je progresse sur le glacier, j'aperçois un rocher juste sous la rimaye du Mayer, qui soit dit en passant, a l'air bien ouverte. Mais que fout-elle là, cette caillasse ? Cinq minutes plus tard, le rocher a disparu ! Il se trouve au niveau de la crevasse ! Merde alors, il ne s'agit pas d'un rocher, mais d'un homme ! Vincent est déjà là ! Ce n'est pas possible, il a près d'une heure d'avance sur moi, comme il va vite ! Max, je le vois devant, possède un gros quart d'heure d'avance, mais Vonk a avoiné comme un salaud ! Continuons à notre rythme, il n'y a que cela à faire de toutes façons…

La montée se fait de plus en plus pénible. Mon eau a gelé, je ne peux donc pas boire, et les Michoko qui se trouvent dans ma poche sont une vraie plaie à manger : ils cassent au premier coup de dent et explosent en dix morceaux, tout gelés qu'ils sont, puis se mettent à fondre doucement, collant un peu partout dans la bouche et se mettant entre les dents, obligeant la langue à d'acrobatiques mouvements pour récupérer le caramel mou. Une activité à temps plein, qu'il faut mener de front avec le monotone " un pied devant l'autre " assorti du tempo de respiration qui va bien. Le jour se lève, il fait beau. C'est déjà ça ! Alors que je lève les yeux vers mon objectif du jour, qui ne se rapproche pas aussi vite que je le désirerai, j'aperçois un second point une cinquantaine de mètres sous la rimaye : cette fois-ci je comprends : il s'agit de Vincent, l'alpiniste du haut ne pouvant alors qu'être Fabrice Roulier, qui a pu partir un peu plus tôt depuis son emplacement de bivouac. Je suis un peu rassuré : Vonk va très vite, certes, mais il n'a pas pris une avance aussi considérable que ce que j'avais bien voulu croire auparavant. Je fixe la pente menant à la rimaye, et tente de m'y diriger de la façon la plus directe possible, afin de me débarrasser au plus tôt de ces fichues raquettes, qui me font regretter la glisse des skis…mais ce n'est rien par rapport à ce que je vais vivre dans deux jours aux Agneaux ! Lorsque, après deux heures trois quart de marche, je me trouve sous la rimaye, et que le Max avance environ quatre vingt mètres au dessus de moi, je m'avachis dans la neige, lessivé : une pause s'impose ! Pour la première fois depuis le départ, je peux enfin boire, grâce à la bouteille protégée dans mon sac, qui n'était pas complètement givrée, elle ! J'arrache violemment quelques gros morceaux de brioche, affamé que je suis, puis quelques petits Michokos, faut pas se laisser abattre ! Une fois un peu rassasié, il s'agit de s'alléger : je laisse au pied de la face tout ce que ne sera pas strictement nécessaire : une polaire, l'Arva, les bâtons, les raquettes, une bouteille d'eau (un litre c'est un kilo, et un kilo, ben c'est lourd…)… Me voici fidèle à mon habitude, mort-light ! Les Blades sur le sac, le casque, deux pioches en main les crampons attachés aux coques, et zou, c'est parti, dans les traces, tant qu'il y en a ! Je gravis rapidement les derniers mètres faciles qui me mènent à la rimaye. De là, première surprise : pas si génial que ça ce pont à neige ! La rimaye a l'air bouchée certes, mais le petit mouvement à effectuer est un peu " serre-miche ". Bon, quelques secondes, et je peux attaquer la fameuse goulotte qui constitue le premier tiers du dénivelée du couloir à proprement parler. Ici, la pente est très soutenue, cinquante deux degrés selon le topo, et la neige est bien dure. Ce n'est pas de bon augure pour celui qui veut se risquer en Blades dans ce monument ! Sur la droite, une véritable goulotte, où coule par moments une rivière de neige fraîche au hasard des projections en provenance des pentes supérieures. Au bout de cent cinquante mètres, il s'agit de bifurquer sur la gauche, passer un petit éperon en neige très dure, et ainsi accéder à la pente principale de la face, celle dont la moyenne est de cinquante degrés sur quatre cent bons mètres. Je passe ce petit éperon en étant attentif, puisque c'est à ce moment que l'on se passe au dessus de la barre rocheuse du bas de la face, une barre haute d'environ deux cent mètres, et qui ne pardonnerait pas en cas de chute : c'est d'ailleurs cette fameuse barre qui fait l'exposition élevée de cet itinéraire. Deux piolets, c'est sécurit, mais ici un peu superflu, d'autant que c'est à cause de ces deux engins que je suis en train de subir l'onglée la plus douloureuse dont je me souvienne. Je m'arrête, range une pioche, et commence à sentir le sang affluer de nouveau dans mes doigts engourdis. Je sens que je vais déguster, et j'attends fébrilement d'avoir vraiment mal. La douleur ne se fait pas attendre, elle monte en moi, et atteint son insupportable rythme de croisière. Je gémis à haute voix, les mains tournées vers le ciel afin de limiter le plus possible le retour du sang. Rien à faire, juste déguster… J'en pleure même, tellement cette onglée là est de la pire espèce. Je sais que d'ici cinq à dix minutes, je serai beaucoup mieux, mais pour le moment, je rêve d'être ailleurs ! Pendant que je compte les secondes en espérant sentir un léger mieux dans mes mains, je scrute le haut de la face. Max possède entre soixante quinze et cent mètres d'avance, Vincent est tout en haut de la pente neigeuse, Roulier a disparu dans la diagonale qui monte encore plus haut, vers la gauche. Je ne savais pas que l'on pouvait skier depuis tout là haut, c'est apparemment ce qu'essaye de faire notre plus coriace " adversaire " (même si ce terme est assez mal adapté aux sports de montagne, m'enfin, ne l'a t-on pas utilisé pour Escoffier et Profit ?). Je me doute bien que Vinc' va l'imiter, compte tenu de son avance sur nous, et surtout de son amour propre qui ne tolèrerait pas que la Rouliasse parte de plus haut que lui !

Chaque pas devient de plus en plus éreintant, l'altitude atteignant maintenant une valeur plus qu'honorable. Trois mille trois cent cinquante mètres. Max, toujours au dessus, monte à vitesse constante, entrecoupant quelques efforts par de courtes pauses, le temps de reprendre haleine, comme moi. Je me retourne : le vide se creuse derrière moi, et pour la première fois au cours de ma carrière de skieur, j'ai véritablement l'impression d'être accroché à la paroi, un peu comme en escalade. La pente est raide, soutenue, vertigineuse. Au dessus, le haut du Mayer, puis la partie rocheuse menant au Dôme, qui culmine à plus de quatre mille mètres. Vers le bas, la face plonge vers la barre rocheuse qui se dresse en formidable tremplin vers le glacier de Bonnepierre, éblouissant depuis que le soleil cogne dur sur les faces Sud de l'autre côté du cirque. On distingue deux autres skieurs, dont, nous l'apprendrons plus tard, le sympathique Dominique Maillet, un des patrons de mon unité Xérox, venu faire la pointe de Pie Bérarde. Deux minuscules points perdus au beau milieu du glacier, qui ont les yeux rivés sur nous. Que voient-ils ? Trois minuscules tâches accrochés à la gigantesque face Nord Ouest du Dôme des Ecrins. Spectacle fascinant que celui de dérisoires alpinistes en quête de victoire sur une imposante face qui, immobile certes, dégage une incroyable impression de puissance.

De temps en temps, de longues coulées de neige plutôt dure m'arrivent sur le coin de la gueule. Il n'y a pas trente six méthodes pour faire face à ces projections : piolet amarré, on met le casque en première ligne, et on se regroupe derrière lui, afin de ne pas prendre un glaçon sur le visage et de se retrouver arraché à la paroi. Cette fois, c'est bien plus long que d'habitude. Que se passe-t-il ? Je profite d'une accalmie pour faire quelques pas et pour lever les yeux : ça y est, le Roulier a entamé la descente, et il est encore bien haut : je dirai trois cent à quatre cent mètres au dessus : je dois cette trêve des hostilités à sa rencontre avec Vincent, les voici en pleine discussion. J'en profite pour gagner un maximum d'altitude, il sera de nouveau impossible d'avancer quand le Roulier enchaînera de nouveaux virages. Il s'arrêtera de nouveau au niveau de Max, puis au mien, histoire d'avoir salué l'intégralité du team BLMS présent ce jour là. Un garçon sympathique, " avenant " pour reprendre le mot favori du Vincent. Je discute quelques instants avec lui, dissertant sur mes chances de réussir la descente en Blades. Il pense, comme Vincent, que ce sera difficile vu les conditions de neige, autrement plus délicates qu'à l'Infernet. La neige, de la poudreuse tassée, est bien plus difficile à skier, et l'erreur sera ici complètement interdite. Je suis assez d'accord avec eux, mais je poursuis tout de même vers le haut. Le passage où je me trouve actuellement doit bien passer, espérons qu'il se poursuivra plus haut, afin de faire le maximum Blades aux pieds ! Fabrice me quitte et se relance vers le vide, vers le bas de la pente, envoyant les grosses coulées vers la goulotte, fini d'en prendre plein la face, du moins pour l'instant…

Vincent démarre du tout haut de la pente neigeuse, à trois mille sept cent soixante mères, à l'endroit précis qu'à choisi Fabrice pour attaquer à skis. La Menace et moi-même sommes en retard, nous nous arrêterons avant, environ trois mille six cent vingt mètres pour Max, une cinquantaine de moins pour moi. Cela ne change rien la difficulté, simplement, je suis exténué, autant décoller dès maintenant, d'autant que la partie " chaussage " risque d'être bien énervante : chausser dans du cinquante en neige non évidente n'est jamais une partie de plaisir, surtout avec des lattes de quatre vingt dix centimètres… Je suis bien content de disposer de deux pioches afin de me faire un ancrage solide ! Max se prépare, au dessus, et je décide d'en faire de même, après avoir essuyé la coulée que le bon Vonc' m'a envoyé en spéciale dédicace… Le Vontss s'est élancé du plus haut point possible, et a effectué des virages en neige béton tout en haut, égalité parfaite avec Roulier, le BLMS est toujours dans la course ! Je le regarde repartir, dans son style élégant si caractéristique. Hop hop hop, Vonk perd de l'altitude et se dirige vers la partie inférieure du couloir. Quant à moi, sac vaché, il s'agit de serrer les coques, de sortir les Blades, de les faire tenir sur une marche à creuser, de remettre le sac sur le dos, de ranger une pioche, et de prier pour que le premier virage ne soit pas le dernier. J'avoue beaucoup y penser pendant que je me prépare, d'autant que cette préparation n'est pas aisée. Quelques instants plus tard, Max se dit prêt, et il se met à déraper. Vincent est maintenant cent mètres sous mon emplacement, et Moux est encore bien plus haut. " Je suis terreur " avoue la Menace. La dernière fois qu'il m'a fait un aveu pareil, nous nous faisions percer les oreilles à Montpellier… Le contexte est bien différent, et Max arrête bientôt de gamberger : flexion, planté de bâton, regard concentré, bouche ouverte, hop, les skis jaunes pivotent et se posent en sens inverse, le tout suivi d'un court dérapage : Max a réussi son premier virage ! Je continue ma lente préparation alors qu'il met un peu de temps à descendre à mon niveau, sur la gauche.

" On va enquiller avec le col de Bonnepierre " m'informe-t-il.

Je suis bien trop crevé pour avoir envie d'en faire autant, je me contenterai du Mayer, ce qui n'est déjà pas si mal pour quelqu'un qui ne devait pas chausser d'instrument de glisse avant fin septembre ! La Menace me quitte donc, afin de ne pas perdre trop de temps sur l'ascension suivante, qui va faire un joli coup double au palmarès de ces deux garçons ! De mon côté, je ne me déconcentre pas. Un peu déçu de ne pas avoir de spectateurs pour cette première en Blades, je regarde Max déclencher quelques virages et poursuivre sa descente…

Je mets le temps, mais me voici enfin prêt. Avec d'infinies précautions, j'ai chaussé les Blades, serré mes coques, renfilé mon sac, et rangé le piolet Grivel. En main, un Naja. Le buste tourné vers le bas, je vois ces messieurs enquiller quelques virages au dessus de la goulotte. Ils n'en ont pas encore terminé, ils doivent être aux deux tiers du parcours environ. Je teste l'accroche de mes engins, piolet ancré. Ca a l'air de tenir, même si je dois avouer que je rencontre là les conditions les plus difficiles que j'ai connues en Blades. Blades aux pieds, aussi peu de poudre dans un couloir de cette difficulté (ou même de difficulté inférieure), je ne connais pas ! Comme toujours, on est dans l'inconnu aux frontières de ses capacités, on n'est sûr de rien, et on a peur. Je n'échappe pas à la règle, et le doute m'envahit. Je dérape sur quelques mètres, perdu au milieu de cette grande face, sur ma droite. Putain, je sens que ça peut tenir, d'après mon expérience avec les Blades, ça doit tenir ! Mais voilà, si ça ne tient pas, je me tape cinq cent mètres de dégringolade avec cent mètres de vol en cadeau bonus à la fin, pour finir en piteux état sur le glacier quelques secondes plus tard. Perspective peu encourageante… Quelques hésitations, un ou deux tests d'accroche, puis les doutes s'envolent, en même temps que mes planchent quittent la paroi pour un instant d'éternité : je suis en l'air, j'ai quitté le couloir Mayer Dibona pour l'apesanteur. Jambes groupées, je tourne…et me repose instantanément en sens inverse, contrôlant un léger dérapage. Yes ! C'est fait, le prermier virage jamais réalisé par un skiboarder sur le Mayer est un succès ! Dès lors, je me lâche, et j'enquille les changements de direction tant que la qualité de la neige ne change pas. Plus bas, Max et Vincent on rattaqué l'ascension du Col de Bonnepierre en partant de la fin du couloir actuel, pour une traversée sur la gauche. Ils me voient. Je les appelle et effectue quelques virages pour leur montrer que le Mayer est en train de rentrer dans mon palmarès ! Un virage un peu moins assuré qu'un autre, une variation du manteau, et mes sens se remettent en alerte rouge. Par où passer ? Où sont nos traces ? Comment était ce passage à la montée ? Autant de questions qui se bousculent dans ma tête au moment de décider ou non de reproduire un virage. J'effectue comme ça plusieurs remises en question, avant de me trouver une petite cinquantaine de mètres au dessus de l'éperon donnant accès à la goulotte. Alors que ces messieurs me précédant ont opté pour un passage le plus sur la gauche possible (mais je ne les ai pas vu faire), je m'en tiens à nos traces de montée, et je me souviens que la neige était très dure ici, l'accroche vraiment mauvaise. Mais je suis grisé, je veux faire l'intégrale, ne pas déchausser. Un dernier virage, un peu limite, puis je décide de déraper, jusqu'à rejoindre la goulotte. Le planté de piolet requiert toute mon attention, je progresse avec prudence…jusqu'à me retrouver pendu à la pioche, les Blades ayant perdu toute accroche : c'est décidé, impossible de continuer comme ça, il faut désescalader cette petite cinquantaine de mètres.

L'opération sera des plus pénibles, puisque j'ai la fainéantise de remettre les crampons : tout sera donc descendu sur les bras, une pioche après l'autre… Petit passage d'éperon, puis de nouveau dix minutes pour rechausser les planches. La goulotte est très raide, et la neige mauvaise, mais l'exposition moindre, puisque cette goulotte contourne la barre rocheuse du bas de la face. Je skie dans la goulotte, enchaînant les virages même en mauvaises conditions. Au pied de la face, sous la rimaye, deux skieurs : Torinesi et son pote, sans aucun doute. J'irai les saluer, mais pour l'instant, j'ai une descente à achever ! Alors qu'il ne me reste que quatre vingt mètres à faire, je suis sur la partie très dure de la goulotte…aucune envie de tourner, mais les deux clowns du bas ont les yeux braqués sur moi. J'ose donc un petit virage, histoire de ne pas me chier comme on dit, très moyennement contrôlé, merci le piolet ! Le temps de retrouver le point faible de la rimaye, hop, elle est franchie, le Mayer est vaincu ! Je laisse échapper un cri de joie.

Quelques petits virages, je rejoins les deux skieurs qui ont observé la fin de ma course. Ils se préparent à grimper. Les présentations d'engagent : Torinesi, effectivement, flanqué d'un mystérieux Martin " qui n'a jamais rien fait d'aussi raide mais on verra bien ". Moi ? C'est Lansb, du BLMS garçons ! Leur arrivé au pied de la face est des plus tardives, et leur préparation affreusement lente. Ils sont sympathiques (je parle pour Tamagoshi, l'autre étant muet comme une carpe), mais très lents. Tiramisu tasse une polaire, plie ses peaux, range ses affaires, fixe ses skis sur son sac antique (genre Yannick Seigneur), serre une lanière en cuir pour les relier en haut, hisse son harnachement sur son dos, se prépare à partir…puis se rend compte qu'il a oublié ses bâtons. Son compère s'en charge, fait claquer une fixe, bref, tout ce petit monde prend son temps. La preuve ? Je me suis arrêté les fesses dans la neige pour papoter, et j'ai froid alors qu'ils ne sont pas encore partis ! Ils décollent enfin, je leur promet de les regarder un peu, puis récupère mes affaire un peu plus bas, avant de me faire un petit campement au milieu du glacier où règne une chaleur à crever. J'enlève tout, me prépare à regarder mes amis s'offrir leur second 5.4 de la journée, bois un demi litre d'eau presque d'une traite, et attaque sans plus tarder mon saucisson, qui me faisait rêver depuis un sacré bail !