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Chaud et froid...

Du Sommet du couloir Nord de l'Infernet au sous-sol de l'Hopital de Briançon...

10 février 2001 - 17 février 2001.

Ketamine Use Reduces Pain In Morphine-Resistant Cancer Patients WESTPORT, CT, Nov 10 (Reuters Health) - In cancer patients whose pain is not relieved by morphine, the addition of intravenous ketamine appears to have a significant analgesic effect, according to a report by Italian researchers. Dr. Sebastiano Mercadante, from La Maddalena Clinic for Cancer, Palermo, Italy, and a multicenter team studied 10 cancer patients whose pain was not relieved by morphine. According to their report in the October issue of the Journal of Pain and Symptom Management, each patient received 0.25 or 0.50 mg/kg ketamine, or saline. The trial had a double-blind crossover design, such that each patient received each regimen on three separate days, with at least two days between treatment. Before ketamine or saline administration, and 30, 60, 120, and 180 minutes after drug administration, the investigators used a pain intensity scale to determine the effectiveness of ketamine. They found that "ketamine, but not saline solution, significantly reduced pain intensity in almost all the patients at both doses." They also report that "the effect was more relevant in patients with higher doses." Four patients reported hallucinations, they say, and two reported an unpleasant sensation they described as "empty head." These effects were reversed with administration of 1 mg of diazepam. Dr. Mercadante and colleagues suggest that after the duration of the analgesic effect is assessed, doses of ketamine can be adjusted to maintain analgesia by continuous administration. They speculate that early use might "reduce opioid requirements and limit possible opioid-induced toxicity." But they caution that "the occurrence of central adverse effects should be taken into account, especially when using higher doses."

Merci Matthieu, merci Vincent.

Angoisse de la page blanche. Un phénomène bien connu des écrivains qui vivent du fruit de leurs travaux. J'avoue pour ma part n'avoir jamais véritablement connu ce problème, à part bien sûr au collège lorsqu'il s'agissait de raconter mes vacances de Pâques… Aujourd'hui cependant, je ne suis pas si à la fête que ça. Pourquoi ? Parce que ce récit semble être le dernier avant longtemps. Le bras en écharpe dans un complexe bandage scratch, le coeur lourd, je tape ces lignes, comme pour clore le premier tome de mes aventures montagnardes, avant une coupure significative. Bien sûr, je suis heureux. Bien sûr, Elsa est là, bien sûr, j'ai eu de la chance. Je suis heureux, oui, pleinement heureux. Je ne peux cependant pas m'empêcher de penser que je vais rester éloigné des contrées sauvages qui ont contribué à faire de moi ce que je suis aujourd'hui : un grimpeur, alpiniste et skieur de pente raide membre du très sélect BLMS. Lorsque je me dis qu'il y a une semaine à peine, j'entrais de plein pied dans le monde des " extrémistes " avec mon premier 5.4, l'effroyable Infernet, dont la réputation m'avait impressionné au point que je ne pensais jamais être en mesure, un jour, d'en faire la descente ! Le lendemain, dimanche 11 février 2001, je prenais véritablement confiance à skis en dévalant, en compagnie du grand blond, la face Sud Ouest des Mourres Rouges, un 5.2 E 3 indécotable, en neige difficile, avec une pente dépassant parfois les cinquante degrés. En escalade, le niveau 7a résine avait l'air de se confirmer, donc tout allait pour le mieux question sport et niveau. Le Brevet d'Etat, objectif de septembre, n'était pas si utopique. La venue d'Elsa dans la capitale des Alpes constituait quant à elle mon plus gros morceau de bonheur de ce mois de février, qui décidément s'annonçait sous les meilleurs auspices. Une épaule en vrac, une souffrance que je croyais oubliée, le doute, l'attente, les hallucinations, une vision de la mort due aux effets de la Kétamine, une évacuation en hélicoptère, l'austérité de la montagne quand elle vous tient à sa merci, voilà ce que j'allais vivre le 17 février 2001, en compagnie, heureusement, des bons amis Vinc' et Matt. Flashback…

Quatrième, cinquième. Cent dix kilomètres heure. La Saxo chauffe tranquillement sur la Rocade, Belledonne FM m'envoyant des sons commerciaux dans les conduits auditifs. A mes côtés, appréciant moyennement la programmation musicale, la Bête. Dans le coffre, une paire de Scarpas, un sac léger, un Naja technique, des crampons, une paire de skiboards affûtés et rebouchés (suite à la sortie au Mayer). N'oublions pas le Surf de Monsieur, son matériel personnel, incluant l'inséparable polaire rouge (Mais bouffez-la cette polaire bouffez-la ! ! !). Dans l'ensemble, on peut le dire, nous sommes " hyperlight ". A l'aise dans mes sandales, je me dirige tranquillement sur la route de Bourg d'Oisans, avec mon Borsdin préféré, quand une 206 grise nous klaxonne et nous passe avec quarante bornes de mieux… Le Vontss mesdames, messieurs, qui avoine vers le monument au mort de Livet, départ de notre objectif du jour : l'Infernet. J'attends patiemment que la température d'eau monte et que l'huile chauffe, et je passe en mode " dépassements agressifs " pour recoller aux basques du l'homme du Diois. Petite Saxo ne se fait pas prier, et nous nous imposons rapidement aux touristes qui engorgent la route des stations de l'Oisans. Bientôt, nous sommes collés au pare choc arrière du Vonk, qui n'amuse pas le terrain non plus. Lorsque nous nous garons au pont de la Véna, nous sommes heureux de cacher nos autos dans un petit chemin en contrebas, histoire de ne pas nous exposer aux vengeances éventuelles des gens " déposés " pendant le trajet…

Coques enfilées, sacs arrimés sur le dos, le traditionnel ballet du départ tient ses promesses. Petit détail amusant et révélateur : Vonk nous lâche ses spécialités intestinales redoutables, signe que le jour que nous allons vivre va être grand ! Nous décollons lentement, matériel sur le dos, les peaux à la voiture, pour un des plus hauts et plus glauques couloirs des Alpes, selon Shahshah en tous cas… D'entrée, je m'isole, et je resterai isolé tout le temps de l'ascension. Nous le savons tous, l'Infernet est un immense couloir à avalanches, haut de pratiquement dix sept cent mètres, et débouchant sur le plateau sommital du Grand Galbert. A la première occasion, et contrairement à mes camarades qui possèdent une trentaine de mètres d'avance, je bifurque sur la droite et pénètre dans les éboulis et restes d'avalanches, très tôt : blocs de glace, dalles recouvertes et piégeuses, je plonge directement dans l'ambiance froide et inhospitalière des lieux, alors que Matt et Vonc' serpentent sur le chemin forestier plus en altitude. Plus haut, lorsqu'ils rejoignent le lit de l'Infernet à leur tour, ils ont une petite centaine de mètres d'avance, qu'ils vont conserver jusqu'au sommet… Me voici donc livré à moi-même, seul avec mes pensées, seul face au couloir et aux petits aérosols qui " rafraîchissent " l'atmosphère, pour reprendre une jolie expression de Matthieu. Les boules, compactes, traîtresses, parsèment le couloir et il s'agit de serpenter au mieux et de rapidement gagner de l'altitude : dès que nous entrerons dans la zone dite " skiable ", nous serons plus à même de progresser à notre aise. Le couloir vire à droite, et nous débarquons sur une gigantesque rampe de lancement vers le haut, la pente se redresse, la neige devient meilleure, plus profonde, les bouboules et autres restes du cône se font plus rares, puis disparaissent. Devant, la trace est éreintante : j'entends les deux rigolos maugréer, et je reprends la frite : j'envoie du gaz et je les remonte, vraiment ! A mi-pente de ce long serpent de neige, c'est la pause crampons : on s'arrête, on pisse, on bouffe une petite barre, on chausse les crabes, puis on reprend sa route, inexorable, vers le haut. Je vais bien : un peu au dessus, le Borsd et Vinc' se relayent pour faire une trace des plus pénibles. Je profite de leur travail, et par conséquent, souffre moins qu'eux. Quelques centaines de mètres plus haut, un petit éperon rocheux masque la suite des événements : le couloir s'enfile à gauche, vers une portion a priori plus raide, et c'est là que les véritables difficultés vont se présenter, selon toute vraisemblance. Etrangement, je n'ai vraiment pas peur, aucune appréhension, j'ai véritablement hâte d'y être !

Sitôt enchaîné ce petit virage, le fameux rognon rocheux, situé vers deux mille deux cent cinquante mètres apparaît. Vincent en négocie la sortie. Je suis déçu : ça a l'air de passer tranquille ! Une fois aux prises avec la difficulté de la voie, je suis bien : la glace est bonne, elle ancre parfaitement, le passage est étroit, certes, raide (soixante cinq à soixante dix degrés), le mixte est bien présent (prises de main, oppositions à droite), mais mes 2F et mon Naja me procurent de la sécurité. Bientôt, je suis au dessus : deux cent mètres me séparent de la sortie, deux cent mètres à cinquante trois degrés selon le topo, ils n'y sont probablement pas. En tous cas, la neige est excellente dans cette section, de la poudre royale : nous allons nous régaler, pour sûr ! Je fonce jusqu'à la sortie du couloir, pour déboucher sur le plateau, gorgé de soleil. A ma droite, les Rochères, dans toute leur puissance. Presque un an déjà… A mes pieds, le matos de mes prédécesseurs, à droite, des traces vers le sommet. Je les emprunte jusqu'à les rencontrer. La pause sommitale est très décontractée : nous goûtons au succulent sandwich de Matt, jambon, carottes râpées, et moutarde, nous délectons de ses Bounty, avant de décliner l'offre désormais légendaire du Vonk :

" Euh, quelqu'un veut de mes biscuits au sésame ? "

Regards croisés incrédules du Lansb et du Borsd...

 -Non non, pas là non...

Eclat de rire général ! Mais l'heure est bientôt venue de s'équiper. Petit saut de corniche pour le Vontss, alors que Borsd et moi-même attaquons les premiers virages de ce véritable monument qui s'offre à nous aujourd'hui sans opposer la moindre résistance. Nous n'avions aucune appréhension, et il n'y avait pas lieu d'en avoir : la descente est princière, nous alternons petits virages, et nous succédons sur les pentes supérieures de l'Infernet. Du bonheur à l'état pur. Nous procédons séquentiellement, car le passage d'un skieur déclenche des coulées d'intensité suffisamment élevée pour gêner les autres, voire représenter un danger pour eux. C'est donc chacun notre tour que nous jouissons de la neige magique que nous propose cette course réputée extrême… L'euphorie est telle que je me sens capable de réaliser la première intégrale, skiboards aux pieds ! Vous avez bien lu, non seulement le rappel est oublié, mais j'envisage de descendre les soixante dix degrés en glace muni de mes excroissances K2 ! Arrivés au dessus du rognon, après deux cent mètres de folie dans du cinquante, je me rends à l'évidence : sans corde, c'est la chute assurée et ses conséquences habituelles… avec la corde, je vais me faire mouliner… Je suis donc amené à sagement renoncer. Nous n'effectuons pas de rappel pour autant. Crampons techniques, piolet technique, et on sort la…technique. Désescalade du petit passage, réduit au strict minimum (une quinzaine de mètres). Bordinet (faute de frappe que je garde, comme de coutume) et Lansb, les deux fainéants siglés Atos (demandez à Dom ce qu'il en pense), refusent de passer deux minutes à fixer les bâtons sur le sac : Matt en bas, moi en haut, je balance mes deux précieux outils par dessus le mixte. Matt affirme les voir arriver ; je puis donc descendre à mon tour. Une fois en bas cependant, Matt a disparu vers le bas, Vonk rechausse les skis. Où sont mes bâtons ? Nous l'ignorons. Matthieu a du les prendre, je ne le vois pas se barrer sans rien dire s'il ne les avait pas récupérés… Au final, j'en trouve un, que Vonk a été récupérer un peu au dessus, l'autre est perdu. Matt déplore une perte de son côté également. Explication : ils ont filé dans la pente, et les coulées déclenchées par les trois conquérants de l'Infernet que nous sommes les ont enneigé, impossible de savoir où ils ont pu terminer leur course. Misère…

Image suivante : trois membres émérites du BLMS, dans un terrain vague, au milieu de tas de ferraille glauques, les pieds dans la boue, scrutant, soleil dans la face, l'impressionnant couloir qu'ils viennent de s'offrir. Ce décors convient à merveilles à l'Infernet, lieu au caractère inhospitalier assez marqué…Le temps de quelques photos pour immortaliser la réussite de cette entreprise, de se faire la bise, et nous nous séparons. Vinc' regagne sa patrie, le Diois, pendant que Matt et moi reprenons la route de la capitale des Alpes.

Dimanche 11 février, onze heure trente. Au delà de deux mille huit cent mètres, skis au dos, piolet Grivel dans la main, chaleur puissante des rayons solaires sur le front, je m'élève dans la face Sud Ouest des Mourres Rouges, dans la vallée perdue du Valjouffrey. La pente est très raide (cinquante et un degrés sur un bombement !), mais surtout très exposée : des rochers aiguisés parsèment la face, prêts à transformer en gruyère râpé tout alpiniste commettant la terrible erreur de perdre l'équilibre et d'être arraché à la paroi... La neige, profonde, coulante, et posée sur de la glace, chauffe terriblement. Quelques quatre vingt mètres au dessus, Matthieu continue sa course vers le sommet, qui culmine à trois mille vingt trois mètres. Nous sommes partis ce matin de douze cent cinquante mètres, depuis le Désert en Valjouffrey, un coin sauvage comme on n'en voit que trop rarement en France aujourd'hui. Un magnifique chien, énorme, majestueux, avait salué notre arrivée dans ces contrées. Un âne également, et surtout, de nombreux sommets, dominant la vallée de leurs trois mille mètres de rocher et de glace. Nous partîmes de Grenoble fort tôt, comme d'habitude, et deux jours de suite, ça fatigue un homme ! Tout ça pour dire que mon ascension s'est limitée à une poursuite effrénée vers le Bordin qui caracolait quelques dix bonnes minutes devant… Quatre heures durant, à souffler, à mater l'altimètre, à observer la montagne, à jeter des regards vers l'Aiguille des Marmes, autre bel objectif que Max et Vincent ont déjà épinglé à leur palmarès… et à hurler à Matthieu de me laisser des gâteaux dans la neige pour m'alimenter, mon stock de barres énergétiques étant d'ores et déjà plus qu'entamé… Maintenant, nous touchons au but, mais l'ambiance est électrique : ça craint l'avalanche. Matt continue, je lui fais confiance… mais mes doutes sont bientôt confirmés par l'expérimenté savoyard :

" On se casse, ça pue ici ! " me lance-t-il.

- Entièrement d'accord, je t'attends, lui réponds-je.

Je pose le sac, serre les coques, me prépare à partir. Les difficultés de la face sont en bas, je vais donc y avoir droit, au même titre que Matt, qui aura en prime une traversée délicate à gérer… Le Borsd envoie la moitié de la pente vers le glacier dès qu'il tourne, je me décide donc logiquement à me barrer de suite. Je suis dans la partie la plus exposée, la plus raide aussi…mais je ne gamberge pas aujourd'hui, tout baigne : hop, je déclenche mon premier virage, hop, je recommence ! Yes, c'est bon, je me sens assez " secure " en réalité, j'ai tourné dans le très raide, et dans l'expo, c'est vraiment de bon augure pour la suite de la saison ! Matthieu finit par arriver, nous procédons à une séance photo, c'est d'ailleurs le seul moment que nous choisirons pour placer, chacun notre tour, un nimp virage bien senti ! La suite : douze cent mètres de poudre royale, grandes courbes, godille, plaisir absolu dans une neige magique, dans un des coins les plus reculés des Alpes, pas un pékin dans cinq vallées à la ronde, le grand panard en somme. C'est ça, la conception du ski que l'on a au BLMS ! Trois mille cinq cent mètres de dénivelée, un 5.4 E 4, un 5.1 E 3 (bien tapé !), deux jours, deux salves, deux trophées qui resteront en bonne place dans ma mémoire, et je l'espère, dans celle de mes camarades ! En effet, le Vinc' a lui aussi réalisé les Mourres Rouges, le lundi, seul, en profitant de nos traces de montées, mais en ne jouissant pas des mêmes conditions sur l'ensemble de la descente : moins sympa pour lui il semblerait !

La suite de ce récit va prendre un ton plus grave, puisqu'il s'agit pour moi de relater les faits qui m'ont mis sur la touche pour un bon paquet de temps. Après les malheurs de Moux, exilé à la capitale avec une cheville en vrac, voici le pourquoi du comment du chômage technique du Lansb…

Samedi 17 février 2001 : une seule journée à attendre, et la belle Elsa sera dans mes bras ! Je me fais donc une joie d'aller la récupérer à l'aéroport, mais avant cela, ma dernière sortie ski avant trois bonnes semaines. Au menu ce matin : Col Nord de Roche Faurio, dont le départ est commun avec un des plus mauvais souvenirs du BLMS, j'ai nommé le Pic de Chamoissière… Matt et Vincent ont prévu de dormir au refuge de l'Alpe du Villard d'Arène afin d'attaquer le Diable ou la Nord Ouest des Agneaux le lendemain, donc j'ai moi même pris ma voiture, pour pouvoir rentrer ce soir. La joyeuse ZX caracole devant, et je suis gentiment, au son de Britney Spears ou de je ne sais quelle pisseuse que me sert Belledonne FM… Lever à quatre heures du matin, ce n'est pas très agréable, alors si c'est pour aller écouter du Radiohead avec les deux autres fêlés des tympans devant… Bref, je suis dans la Saxo, et tout va pour le mieux. Ma dernière sortie m'a donné une confiance en moi bien établie, et même si nous bifurquons vers le Gaspard, 5.2, je me sens à l'aise. Ce sera l'occasion de prouver à Vincent que j'ai réellement senti un déclic, et j'ai hâte de pouvoir lui faire cette petite surprise. Nous chaussons les peaux dès la voiture, ce qui nous change de notre précédente sortie dans cette région… et je m'accroche pour ne pas me faire distancer par les deux bulldozers qui carburent devant. Il fait froid, ça gèle bien, et j'ai l'onglée traditionnelle du départ qui me tenaille les doigts. Quelques moulinettes de bras de temps en temps ont la charge de faire revenir le sang dans mes extrémités… Voilà bientôt une heure que nous montons, nous avons dépassé la cote deux mille… et je ne suis toujours pas largué par mes deux amis : ça va pas mal, j'ai un peu plus la forme que la semaine passée on dirait !

Un petit passage en dévers s'annonce. Je n'apprécie guère les figures en peaux, et me voilà servi… Les deux camarades, s'en étant sortis plus ou moins honorablement, s'arrêtent et sortent l'appareil pour flasher les montagnes derrière le Lansb qui va se laisser glisser jusqu'à eux. Je me lance, et tout se passe bien. A deux mètres de l'arrivée de cette petite partie de glisse, changement de consistance de la neige : je suis un peu surpris, et mouvement de réflexe, je jette le bras en avant pour me rééquilibrer : clonc, un petit bruit sourd résonne dans mon crâne, alors que je m'effondre dans la neige : je suis horrifié, je viens de reconnaître un symptôme que je croyais à jamais chassé de mes pires cauchemars : j'ai l'épaule droite luxée.

" Venez m'aider, vite, venez m'aider, j'ai l'épaule luxée ! Merde ! Putain merde ! " hurle-je de douleur à mes deux amis qui se précipitent à mon secours.

- Que faut-il faire ? me demandent-ils, surpris par cette alarmante nouvelle.

- Relevez moi lentement et asseyez moi, ne touchez pas à mon épaule, virez moi le sac, putain que j'ai mal merde !

Je suis bloqué, souffrant le martyre. Pendant que Matthieu s'apprête à rejoindre la vallée pour prévenir les secours et m'envoyer un hélicoptère, Vincent s'occupe de moi, et tente de m'installer du mieux qu'il peut. Une fois assis, je me concentre, et tente de ralentir ma respiration. Il doit être sept heures trente cinq (selon les souvenirs de Vinc'), l'interminable attente a commencé. J'ordonne à Matt de foutre le camp, impatient que je suis de mettre fin à cette souffrance infernale. Vincent, d'un calme olympien, ne se laisse pas déstabiliser par mes cris et mes hurlements, et fouille dans mon Dynacham : mon Millet Windstopper, et puis une couverture de survie qu'il a toujours sur lui. Attendre par moins cinq degrés assis dans la neige pendant un bon bout de temps, ça va me refroidir le corps, même si pour l'instant je suis encore sous le choc, et que le froid n'est que le cadet de mes soucis. La suite n'est pas très claire pour moi. Vincent m'assiste dans mes crises de douleur, est près de moi quand j'ai besoin de réconfort. J'alterne cris déchirants et moments plus calmes, un poil plus lucide, mais je me souviens n'avoir même pas été capable de trouver une solution pour les voitures (comment ramener la Saxo à Grenoble ? Comment rentrer ?), laissant Vonk s'en charger seul. Plusieurs fois je lui demande de m'installer une attelle provisoire avec un ficélou, puis je le supplie de l'enlever, ou je le vire moi-même. Plusieurs fois je ne suis pas capable de répondre à ses questions, plusieurs fois je crois entendre l'hélico arriver. En vain. Les minutes sont plus longues que des années, et je n'ose penser aux conséquences qu'aurait eu un accident pareil dans le cadre d'une sortie en solo… Matthieu a du envoyer du bois, c'est clair, mais que foutent les secours ! Je commence à me refroidir, et les tremblements m'envoient des spasmes de douleur dans l'épaule. Je hurle encore une fois. Dieu que l'attente est longue quand on souffre sans discontinuer !

Wof wof wof wof wof... le bruit se fait plus grand maintenant. Les pales de l'hélicoptère de la gendarmerie fendent l'air. Une heure déjà s'est écoulée, et Vincent me crie que mon hélico approche ! Il court sur la butte au dessus du lieu de l'accident pour y déposer des skis, et faire des signes pour leur indiquer notre emplacement. L'oiseau de fer semble passer très près, puis s'éloigne… Je m'emporte. C'est une fausse alerte, il revient, stagne, puis bientôt s'approchent de mon petit igloo (sous la couverture) deux secouristes. Ils veulent me faire une attelle pour pouvoir me transporter. Je leur explique que la position actuelle de mon bras est la seule acceptable pour moi, jamais je ne pourrai le bouger pour qu'il entre dans leur merde gonflable. Je sais de quelle blessure je souffre, j'en suis sûr, ils décident donc d'envoyer l'hélico chercher un médecin. Je dois de nouveau prendre mon mal en patience…Le temps de discutailler avec eux quand la douleur me l'autorise, ça change un peu les idées, mais je reste très contracté à l'idée de subir des douleurs horribles qui m'attendent désormais. Un gros quart d'heure plus tard, le Dr Lanaspre est débarqué et s'approche de moi. Il désire me bouger coûte que coûte, ce qui, j'en suis sûr, est impossible en l'état actuel des choses. Les différentes tentatives sont infructueuses : elles ne servent qu'à me contracter les muscles du bras, ce qui me fait endurer les pires souffrances, les ligaments étant à vif, et je hurle comme rarement j'ai du hurler, même lors de mes antécédents luxatifs à l'épaule gauche… C'est confirmé, même si la perfusion risque de geler, il se décide à m'injecter de l'anesthésiant. Ce sera de la Kétamine, je ne sais pas encore quels en seront les effets, mais au jour d'aujourd'hui, je pense pouvoir affirmer que je m'en souviendrai toute ma vie.

On remonte ma manche gauche, me fait un garrot, la veine gonfle. Bientôt, une aiguille souple perfore ma chair et s'enfonce dans une veine. La perfusion est en place. C'est un de mes derniers moments de lucidité, et je crois me souvenir que Matthieu tient la poche d'eau. Vincent, si je ne m'abuse, aide à mettre en place le brancard. Le médecin approche maintenant une petite seringue verte du " robinet " de la perfusion. Le bout de son doigt blanchit lorsqu'il applique la pression sur le piston. La seringue se vide de son contenu verdâtre, qui file dans les tuyaux reliés à mon organisme. Ma vie vient de basculer, je vais connaître les moments les plus désagréables de mon existence… D'un coup, j'ai la tête qui pèse une tonne, tout tourne autour de moi, et je quitte le monde des vivants pour quelques heures d'éternité. Je ne saurai bien décrire exactement les sentiments que j'ai éprouvés par la suite. Le transport sur la perche jusqu'à l'hélicoptère est un mauvais rêve, un rêve de mort, une danse macabre : je ne vois qu'à travers une toute petite fenêtre, une sorte de télévision, les gens semblent loin, grands, déformés, ils parlent au ralenti ; je suis petit, je n'ai plus d'enveloppe charnelle : mon corps n'est plus ! Je vois tout en clair, c'est très lumineux. Je hurle, personne ne m'entend. J'ai l'impression d'être mort, de passer dans l'autre monde, je vois des choses. J'ai conscience de mourir, de faire un cauchemar atroce, mais j'ai conscience aussi, et c'est là le plus terrifiant, que ce que je vis n'est pas un songe, que c'est la réalité. Je me rappelle simplement m'être vaguement dit : " Bon sang, comment en suis-je arrivé là, comme c'est horrible de mourir ! " J'ai le sentiment que ma perche est sur une pente raide, que des gens skient autour de moi. J'entr'aperçois Matt, puis rien, le vide. Je pense à Elsa, beaucoup. De l'extérieur, il paraît que mon délire valait le coup d'être observé. Je hurlais tour à tour que j'aimais Elsa, que j'étais un piètre alpiniste ou un bladzeur extrême, que je voyais mais que je ne voyais pas. Je répétais aussi que j'étais mort. Dans toute cette histoire, c'est ce transport jusqu'à l'hélico, puis dans les airs, cette expérience traumatisante, qui laissera des stigmates, et à laquelle je pense encore beaucoup aujourd'hui. Un flash : la vision du menton d'un des secouristes dans l'hélico, casqué, penché au dessus de moi. Vision suivante : ma descente de l'appareil, de type " ho-hisse à trois on le sort ". Dernière vision : des gens triturant mon bras me demandant si j'ai mal. Jusqu'à mon réveil vers treize heures, je ne sais même plus que c'est à l'épaule que je suis blessé, je me crois au royaume des anges…

Treize heures, j'ouvre les yeux. Je réalise peu à peu que je suis à l'hôpital, qu'il fait chaud, et que je suis dévêtu. Dans mon nez, deux tubes, reliés à un barda d'appareils situés derrière mon brancard. Dans mon bras, une perfusion, le liquide s'écoule lentement. Sur mon corps, des électrodes, des appareils électroniques qui bipent sans arrêt. Sur mon index gauche, un capteur de rythme cardiaque. Mon bras gauche se gonfle périodiquement : c'est la tension qui est prise automatiquement à intervalles réguliers. Sur mon torse, un énorme bandage me bloque l'épaule. Une fois ce rapide constat établi, la douleur se manifeste, moi aussi :

" Putain, vous me la remettez cette épaule bordel ! "

-C'est fait depuis deux heures monsieur, me répond-on.

Quel soulagement ! Trois quarts d'heure plus tard, je suis autorisé à me lever, on m'aide à m'habiller, à préparer mes affaires. Je demande où sont mes skis : ils m'ont suivi, excellent ! On m'interdit de manger, mais j'ai faim, donc j'attaque le saucisson que j'avais réservé pour la pause sommitale. Je promets de vomir dehors, le cas échéant, ou alors de nettoyer… Je ne dispose que de deux numéros, de mémoire : celui de la maison Fiori, et celui d'Elsa. Ce sont les deux seuls appels que j e passe. Matthieu et Vincent ont promis de passer me voir ce soir, je serai donc patient, et les trois ou quatre heures d'attente ne sont rien en comparaison du calvaire enduré le matin…

Comment conclure un tel récit ? Je vous le demande bien ! Je me lance…la montagne, l'alpinisme, le ski de pente raide, l'escalade, sont des activités remises à plus tard en ce qui me concerne. Trois semaines d'immobilisation avec ce foutu bandage énorme, puis rendez vous chez le Professeur Goutallier le 19 mars. Après quoi, il y a de fortes chances pour que ce soit le billard… soit une semaine à Créteil, puis quatre mois avant de recommencer le sport, et deux supplémentaires avant de bourriner. Autant dire que mon retour à mon niveau actuel dans toutes ces disciplines n'est pas pour sitôt ! Au mieux huit mois je dirai, à vue d'oeil… Autre remarque, Elsa s'occupe royalement de moi. Elle est vraiment aux petits soins, et la semaine que je passe actuellement avec elle est exceptionnelle. La vie vaut vraiment la peine d'être vécue ! La Menace, fort de sa nouvelle conquête, ne me contredira certainement pas ! La vie des hommes semble faite de moments heureux entrecoupés de coups durs (ou l'inverse !). Je rentre dans une phase de réflexion, de prise de recul. Je me dois de la mettre à profit, ça ne peut qu'être bénéfique pour la suite des événements de mon existence !

Deux choses sont certaines cependant. Je suis fou d'Elsa et je ne veux jamais la perdre. C'est la première des certitudes. La seconde, c'est que j'ai vingt quatre ans, et que je vais revenir à mon plus haut niveau. Le jour où je me dirai : " je n'ai jamais été aussi fort qu'aujourd'hui, quelles que soient les disciplines choisies " est devant moi : Lansb will be back, be sure of that ! Le BLMS a pris des coups, mais il reste vaillant : Vonk et Matt sont là pour assurer notre présence dans notre terrain de jeu préféré : la montagne. Moux et Lansb font preuve d'abnégation pour revenir plus forts : en définitive, ne sommes-nous tous pas fidèles au leitmotive de notre sacro-sainte organisation ? On ne se chie pas, nous, ma bonne Dame !

Romain de Lambert