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Sur un air de Bostella...



Petite Face Nord de la Grande Casse à skis
3 juin 2000

Il y a bientôt quatre ans, je découvrais l'alpinisme. Plutôt réticent au début, j'avais finalement accepté d'accompagner mon père et ma soeur Guénolée lors d'un petit week-end en Vanoise. Nous devions réaliser l'ascension de la Pointe de la Réchasse, puis du Col de la Grande Casse, avec un guide. Physiquement, j'étais encore bien imprégné de mon entraînement d'athlétisme, et j'étais en très bonne forme. Ces deux demi-journées ne m'avaient donc pas exténué, mais j'avais entrevu un monde nouveau, emprunt de spiritualité, d'effort (à une époque où je ne jurais que par cela), de camaraderie. Lors de notre passage au Col de la Grande Casse, deux alpinistes attaquaient la Petite Face Nord, sous nos yeux émerveillés et respectueux.

- " Là, c'est beaucoup plus dur" renchérissait notre vieux guide, "et cela se skie même parfois !".

Nous étions fort impressionnés, et je me fis secrètement la promesse d'y revenir un jour si je me décidais à m'investir dans cette activité que je venais de découvrir. Ce sport, ce jeu qui s'ouvrait à moi, l'alpinisme, faisait appel aux qualités physiques que je m'efforçais de développer, et y ajoutait une composante émotionnelle, mentale, qui m'attirait avec force.

L'été suivant, je grimpais pour la première fois, et en septembre, je débutais mes aventures Grenobloises. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, mon parcours s'est enrichi de nombreuses rencontres amicales, fraternelles, montagnardes. L'escalade, l'alpinisme, le ski en montagne, cela vous rend très proche des gens avec qui vous partagez des moments parfois critiques. Cela scelle une amitié. Quelques uns de mes très bons amis sont issus d'une passion commune pour la montagne, et il est presque acquis que certains liens amicaux n'auraient sans doute pas vu le jour si nous ne partagions pas des souvenirs communs très intenses.

Jeudi 1er juin 2000, vingt heures. Je me laisse bercer par le ronron de l'AX d'Hélène, menée par mon ami Gabriel, qui nous ramène de Presles où nous avons passé une belle journée sur les raides parois calcaires de ce spot fort connu du Vercors. "Fhara Kiri" pour Gabe et Hélène, "Coucou nous revoilou !" pour Céline, Claire et moi, cette sortie, qui a eu son lot de péripéties, est un succès. Mes pensées, cependant, sont ailleurs. Quelque part en Vanoise, près de la Grande Casse pour être précis. Samedi, Vinc', Matt, La Menace, et moi-même devons skier la Petite Face Nord, un bon petit 5.1 E 2 pour clôturer (ou pas) la saison sur un sommet prestigieux, dans un itinéraire qui ne l'est pas moins. Bien évidemment, Max n'a pas ses skis à Grenoble (n'oublions pas que c'est par ce genre d'oubli qu'il a construit une partie de sa légende, souvenons nous des Rochères...), ce qui va compliquer l'affaire. Bien évidemment, Matthieu et moi devons faire acte de présence chez Atos vendredi, nous ne pousserons pas la provocation jusqu'à faire le pont... Cependant, nous ne traînerons pas trop tard dans les locaux de Fontaine !

Vendredi midi, pause déjeuner. C'est le moment idéal pour boucler les sacs, faire l'inventaire complet de ce que nous devons amener, charger la voiture. Nous avons rendez vous avec Vincent sur le site de ST à Crolles à dix sept heures trente tapantes. Nous tenons à être à l'heure. Ce n'est pas nouveau, tout se prépare à la dernière minute. Chacun de notre côté, nous nous prélassons devant Roland Garros en grignotant... Je me bouge finalement vers une heure et demi (plus d'une heure de perdue) pour me rendre compte que je n'ai qu'un paquet de gâteaux énergétiques, pas de pile pour ma frontale, une seule paire de chaussettes de montagne...

C'est avec un retard certain que nous déboulons chez Atos, skis au poing, alors que la fidèle Saxo attend sagement dehors sur le parking brûlant, le coffre bourré de matériel d'alpinisme. Les vêtements techniques sont eux aussi restés dans l'auto. Tout d'abord, il serait inconvenant de se balader dans les locaux d'Atos en Carline, et ensuite, il fait beaucoup trop chaud de toutes façons ! Deux heures, c'est long quand on ne fait rien... A seize heure trente, n'en pouvant plus, nous décollons. Les skis sont arrimés sur le toit, et nous voici partis, sous une écrasante chaleur (plus de trente degrés dans la capitale des Alpes !) en direction du lieu de travail de notre acolyte Vincent. Quid de Max me direz-vous ? Eh bien, le talentueux skieur de pente raide de Bourg d'Arud a préféré consacrer un peu de temps à une jeune Américaine chère à son coeur... Puissent les Dieux l'aider à conjurer le mauvais sort, et puisse son large sourire illuminer de nouveau son visage de bon vivant !

Sur le parking visiteurs de ST Microelectronics, la température est saharienne. Plus de trente degrés à l'ombre, mais nous sommes en plein soleil, le goudron fond sous nos sandales, les grandes surfaces vitrées de ST réverbèrent l'énergie solaire de toutes parts, c'est véritablement étouffant. Nous avons une demi-heure d'avance, pas question de cuire de la sorte. Oubliant son complexe vis à vis de mes pectoraux, Matthieu tombe le T-Shirt. Faisant à mon tour fi de mon admiration concernant ses bras, cuisses, mollets... je l'imite. Curieuse vision que ces deux énergumènes torses nus, aux pantalons fantaisistes, lunettes vissées sur le visage, à côté d'une voiture de sport chargée de skis en pleine canicule ! Le gardien de ST ne tarde pas à se fendre d'une petite visite amicale pour nous rappeler à l'ordre: il a reçu des appels en provenance des bureaux nous sommant de nous rhabiller un peu. Nous ne cherchons pas d'histoires, et nous nous exécutons sans bougonner. Le Vinc' ne doit plus tarder de toutes façons...

En effet, c'est un Vincent méconnaissable qui se présente à nous à l'heure exacte du rendez-vous: il porte une chemisette légère mais classe, un petit pantalon foncé, tombant juste comme il faut sur une jolie paire de petits mocassins très "cadre dynamique". Il récupère bien vite sa voiture, nous transvasons son matériel, et, une fois la ZX garée, il prend place à bord de notre auto. Rapidement, sa chemise s'ouvre, ses pieds s'échappent de ses chaussures, et nous retrouvons un Vincent plus conforme à ce que nous avons l'habitude de voir ! La chaleur ne nous quitte pas, et il fait une température à peine avouable dans l'habitacle. Nous prenons l'autoroute pour gagner un maximum de temps. Le voyage nous laisse le loisir de bavasser, puisque mes goûts musicaux éclectiques mais grand public ne font pas l'unanimité chez mes compagnons presque extrémistes. Une fois à Moutiers, je prends plaisir à redécouvrir la route de Pralognan que je n'ai pas empruntée depuis un an maintenant. Nous nous garons à mille six cent cinquante mètres, au parking des Fontanettes, déjà bien chargé en voitures. La fontaine fournit une eau claire et fraîche à un bon débit. Elle fait notre bonheur. L'altitude a fait baisser la température de quelques degrés, mais la chaleur est encore bien présente. Les affaires sont étalées un peu partout autour de la voiture, et nous décidons de nous restaurer avant d'attaquer la montée en refuge. Matt et moi-même dévorons nos pan bagnats fétiches achetés à notre boulangerie officielle, pendant que Vinc' allume son réchaud pour faire cuire la polenta. Nous commençons par ailleurs à regrouper le matériel technique que nous allons embarquer. Matthieu et moi prévenons Vinc' que nous partons "léger", et il faut bien avouer qu'on frime un brin en annonçant cela, alors que notre pauvre ami s'évertue à faire rentrer son matos de grimpe, son réchaud, sa nourriture dans son Dynacham de trente litres. Ce détail aura cependant son importance, nous le verrons plus tard. La seule décision véritablement importante est l'abandon de la corde et des baudriers: la chasse aux kilos est ouverte !

Le soleil tape encore quand les sacs sont enfin bouclés, les skis fixés dessus, et les Carline enfilées. Nous entamons la montée vers le refuge de la Vanoise vers vingt heures, ce qui est tout de même assez tard ! Nous optons pour le sentier qui contourne le l'aiguille de la Vanoise par le Sud, les panneaux de bois annoncent une durée d'ascension de trois heures et demi. S'il semble clair que nous serons plus rapides, cela indique tout de même qu'il y a un bon bout de chemin à parcourir. La montée est éprouvante, deshydratante, et la neige ne se montre qu'à l'occasion de la traversée de névés épars. La dite aiguille nous domine pendant toute la marche, au cours de laquelle nous ne cessons de traverser la rivière de rive en rive. Deux heures à peine sont nécessaires à mes deux camarades pour rallier le refuge; j'ai besoin d'une dizaine de minutes supplémentaires, le tarif habituel avec ces deux phénomènes. Le gardien hallucine en voyant débarquer, à la nuit tombée, trois grimpeurs à moitié nus, skis au dos, et il rechigne un peu à nous inscrire. Notons au passage la conversation amusante qu'il entretint avec Vinc' au sujet du lever du soleil. Le seul renseignement que le brave homme fut en mesure de fournir au skieur de Sassenage, c'est que le soleil se lève à huit heures au refuge ! Autant nous parler de la reproduction des escargots en Tasmanie orientale ! Bref, une fois les frais de séjour réglés, nous nous rendons dans la salle commune de la cabane à laquelle nous avons été affectés. Les skis et chaussures sont abandonnées dans l'entrée, et j'ouvre la porte donnant dans la "salle à manger".

Ce que j'aperçois maintenant me brise le coeur, mais la vue n'est pas le premier sens à être sollicité lorsque je pénètre dans la salle. Une odeur douce et caractéristique de fromage fondu me monte immédiatement dans les narines. Mes yeux scrutent instantanément la petite pièce rustique, plongée dans l'obscurité. Autour d'une vieille table en bois, dans le fond de la salle, une huitaine de jeunes est installée autour d'une grosse marmite de fondue. Ca rigole, ça se passe des croutons de pain, ça verse un petit blanc de Savoie dans les verres, en somme, ce petit monde se régale. Pour ne rien gâter, les filles sont plutôt jolies ! Renseignement pris, ces joyeux drilles sont montés au refuge sans aucun matériel d'alpinisme, ils se lèvent à huit heures (c'est tôt à leurs dires !) et se promènent gentiment.

Je me rends très vite compte que notre situation est moins idyllique. Un rapide calcul me remet en mémoire le fait que je n'ai qu'un paquet de biscuits Céréal aux pommes, deux Snickers, ainsi que deux ou trois Captain Choc fourrés à la framboise, pour ce soir et la course de demain... Matthieu n'est pas mieux loti, et Vinc' a de la polenta, mais sans sel (il a emporté du sucre par erreur), accompagnée d'un misérable bout de pain et de deux ou trois bricoles. Dans notre équipe, point de compagnie joyeuse avec qui rigoler, point de pinard, point de Chartreuse pour mieux digérer, point de grasse matinée jusqu'à pas d'heure. Pour finir, bien sûr, inutile de compter sur une bonne balade innocente aux abords du refuge en début d'après-midi. Pour nous, c'est lever à trois heures pour mille trois cent mètres de dénivelée en altitude, et une face à skier suffisamment raide pour m'empêcher d'être trop serein. Pour être clair, quand je pénètre dans la salle exigüe du refuge, j'aimerais bien faire partie de la clique de rigolos. Ce sentiment ne perdure pas, heureusement. Au bonheur d'être en montagne s'ajoutent ceux de gravir une belle face sur un beau sommet, et d'affronter une pente raide skis aux pieds. Les petits tracas et l'abstinence que cela impose ne sont alors que des menus détails avec lesquels nous composons avec plaisir. Le dîner demeure cependant un moment agréable. La troupe de randonneurs est de bonne compagnie, et le Vinc' nous fait l'amitié de partager sa polenta. Si nous faisions les malins à la voiture lorsqu'il chargeait son sac et peinait à le fermer, nous sommes bien contents de le voir partager avec nous les victuailles qu'il a portées... Pendant quelques minutes, nous sommes seuls. Cela nous permet de disserter librement, tel des collégiens boutonneux, sur la forme olympique que tient l'arrière train de Monsieur Fiori. Mais qu'a-t-il donc avalé ? Nous reprenons des forces, engageons un peu la conversation avec les autres habitants du lieu, puis prenons congé pour essayer de glaner de précieuses heures de sommeil. Il est vingt trois heures et la nuit sera courte, mais chaque minute peut être réparatrice.

Le gardien nous a attribué les lits 10, 11, et 12. J'espère secrètement occuper la place 12, mon chiffre fétiche. Il précise aussi que les emplacements 13, 14, et 15 sont libres. Nous auront donc toute la place pour nous étendre, et ça tombe bien, nous n'avons pas oublié nos épaules... Le dortoir est déjà bien rempli, nous nous installons dans un silence assez relatif ma foi. Vinc', encore plus coquet que moi semble-t-il, se glisse dans son sac à viande pour ne pas se polluer le corps avec les couvertures très sales du refuge. Mathieu me reproche de ronfler, bref, l'humeur est encore joviale, et le sommeil vient lentement.

Perdu dans un rêve bizarre, naviguant dans un sommeil léger, je perçois très distinctement une voix masculine annoncer deux heures et demi. Instinctivement, je porte ma montre près de mes yeux, et distingue vaguement, dans l'obscurité, les aiguilles luminescentes qui confirment l'assertion précédente.

-"Chouette !" me dis-je, "il me reste une bonne demi-heure".

Je déchante bien vite. La voix qui m'a tiré de ma torpeur n'était autre que celle du Vinc', qui s'adressait à Matthieu.

- On se fait chier, on n'a qu'à y aller maintenant non ?

- Ouais. Il dort Lambert ?

Non, je ne dors pas, mais je peux encore vous le faire croire Messieurs ! A quoi bon, ils n'hésiterons pas à me secouer les salauds ! C'est donc en maugréant que je m'assois et que je vire la couverture collante et poussiéreuse de la couchette. La frontale vissée sur la tête, je récupère ma polaire et mon Schoeffel qui me servent d'oreiller, et direction la salle commune.

A ma grande surprise, nous ne sommes pas seuls à prendre notre petit déjeuner. Deux alpinistes sont eux aussi sur le pied de guerre. L'un d'entre eux, qui a l'air assez affûté, tout équipé de Millet, porte de grosses lunettes et une coupe rappelant les brosses de notre enfance. L'autre, un peu plus gras, a les cheveux plus longs et frisés, le visage rond, et porte un bouc clarsemé. Renseignements pris, nous apprenons que les deux compères ont pour objectif de surfer le très célèbre couloir des Italiens, pour ce qui serait peut-être une première. Nous échangeons nos impressions sur nos projets respectifs, pendant que nous ingurgitons encore une fois nos maudits biscuits. Heureusement, Vinc' est là, et nous n'hésitons pas longtemps avant d'accepter un bon bol de thé chaud. Quand on grimpe "super light" comme Matt et moi, il est bon d'avoir un membre de l'équipe qui pense un peu plus aux choses pratiques...

A trois heures et quart, nous quittons le refuge. J'y oublie mes chaussettes Astérix presque neuves, offertes récemment par ma tendre mère, auprès de qui je tiens à m'excuser ici. Les surfeurs, Bertrand et Sylvain, comme nous l'apprendrons plus tard, ont du repérer le départ la veille, et nous conseillent de chausser tout près du refuge, pour redescendre au pied des premières pentes menant au Glacier de la Grande Casse. Nous les écoutons, et très vite, nous voici à glisser et à enchaîner quelques virages en neige dure, frontale sur le nez, en pleine nuit. Je repense un instant avec amusement à notre tentative nocturne en face Est du Ranc des Agnelons par temps de pleine lune. Bien vite, nous remettons les skis sur le sac, et attaquons les premières difficultés, jusqu'à arriver sur le glacier. Nous y collons les peaux, et les surfeurs, qui ont viré plus à gauche avant de repiquer vers notre itinéraire, en profitent pour passer devant. Nous repartons rapidement en direction du Col de la Grande Casse. Le glacier que nous remontons, alterne les parties quasi planes avec des portions plus pentues. Nous évoluons sur la rive gauche, proche de l'extrémité du glacier, ce qui devrait nous éviter de tomber dans une crevasse, le risque étant déjà très faible. Je ne surprendrais personne en racontant que Matthieu et Vincent avancent devant, et que je suis seul de mon côté. Ah ! Si Max était là, ça me ferait de la compagnie...Mais le beau Meusien avait d'autres projets en tête...

Nous dépassons tour à tour les surfeurs qui sont désavantagés sur ce type de terrain, et nous arrivons assez vite sous le dernier raidillon menant à l'étroit (et assez inesthétique) Col de la Grande Casse. Je préfère chausser mes crampons, ce qui permet à nos amis snowboarders de me ramarrer. Matt et Vinc' remontent jusqu'au col skis aux pieds, je fais donc la trace pour ces messieurs sponsorisés... Ca me change me direz-vous. Il est vrai que depuis que je fais de la montagne avec le Bordin, la trace m'incombe peu souvent, mais c'est normal: ce garçon envoie du bois. Etant donné que le Fiori est lui aussi très fort dans ce domaine...

Au col, c'est la pause. Il n'est pas encore cinq heures, nous avons plutôt bien avancé. Le temps d'avaler une petite barre énergétique, d'observer le couloir des Italiens, de fixer les bâtons et sortir le piolet, nous discutons avec nos camarades d'un jour, qui découvrent les conditions moyennes de leur projet.

- "Ca a l'air pas mal quand même", précisent-ils.

En gros, ils vont monter derrière nous pendant quelques temps, afin de mieux observer leur couloir. Après, si les conditions le permettent, ils bifurquerons sur la gauche, sous les méchants séracs caractéristiques, pour rejoindre leur voie. Pour l'instant, je me sens bien. Pas de trac, pas d'angoisse, tout baigne. Pour Vinc', l'heure du choix est venu: vient-il avec Matt et moi dans la Petite Face Nord, ou opte-t-il pour les Italiens avec les surfeurs ? Gentleman, il reste avec nous. De toutes façons, il est plutôt (comme nous autres d'ailleurs) sceptique quant à la "skiabilité" de la plaque de glace dans les Italiens

Après quelques minutes d'ascension seulement, le soleil fait son apparition et frappe le haut de la face. Bientôt, je jette un regard derrière moi pour me faire une idée du chemin parcouru. Les surfeurs suivent à quelques encablures. L'ascension est longue, éprouvante, chaque trentaine de pas est sanctionnée par une courte pause pour reprendre haleine. Après une bonne demi-heure de grimpe, je me rends compte que nos acolytes surfeurs sont encore dans nos traces: ils ont de toute évidence changé d'avis, et ils descendrons la face Nord comme nous. C'est ce que je hurle à Matthieu quand celui-ci s'étonne de voir les deux hommes sandwich collés à mes basques

Les premiers effets caractéristiques de l'altitude commencent à se faire sentir: dès que l'on se fixe un objectif visuel, on se dit que l'on va le rejoindre très rapidement, mais en réalité il faut bien plus de temps pour l'atteindre que ce que l'on avait prévu. Nous évoluons droit dans la face, sans nous poser de questions. La trace, vieille d'un jour ou deux, facilite grandement la tâche de ceux qui sont devant, c'est à dire Vincent et Matthieu. Quatre vingt mètres sous l'épaule que nous devons atteindre, la glace fait son apparition, elle est présente sous forme d'une large calotte, cachée sous une couche de neige pas assez épaisse pour me rassurer. Les traces tapent droit dedans, comme quoi, elles ne sont sûrement pas le fait de skieurs. Je suis bien content d'avoir mes Grade 8 aux pieds, et je constate avec plaisir que mon piolet ultra léger Grivel (il n'y a pas que les surfeurs sponsorisés qui ont le droit de citer le matériel auquel ils font confiance !) ancre comme un grand, le sentiment de sécurité est total. Mes pas sont cadencés suivant la bande son du premier long métrage d'Edouard Baer, "La Bostella". Cet extrait musical, qui servait d'introduction au regretté "Centre de Visionnage", nous trotte dans la tête depuis deux jours. "Savez vous voyageur, toi qui sort de l'ombre…" passe en boucle dans ma boîte crânienne…Une heure et demi d'effort, et le but est atteint. Je me rétablis sur la petite plate forme où nous allons chausser les skis, mais un peu plus tard. Nous devons en effet poser le matériel et poursuivre sur l'arête pour gagner le sommet, que ni Matthieu ni moi-même n'avons foulé. Nous sommes cependant contraints à renoncer à cette idée: la masse nuageuse évoluant depuis le lever du jour au Nord Est de notre position s'est épaissie, assombrie, et perd de l'altitude. Les nuages englobent bientôt le sommet de la Grande Casse, qui disparaît de notre vue. Nous y rendre ne présente donc maintenant qu'un intérêt limité, et puis il vaut mieux descendre rapidement, on ne sait jamais...

On enlève les peaux, on enfile les polaires sous les Gore Tex (il y a un de ces petits vents ici !), on mange un morceau, et surtout, j'ai un trac de folie. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne sens absolument pas cette face. Pendant de longues minutes, j'hésite intérieurement à rejoindre les Grands Couloirs, la voie normale, moins raide. Tout le monde quitte le perchoir au fur et à mesure, et au bout du compte, je me retrouve skis aux pieds, sac bien serré, bonnet sur le crâne, les gants dans les dragonnes, prêt à me balancer dans les premiers mètres verglacés de la face. Quelques mètres de dérapage un peu délicats, et j'effectue un premier virage avec conviction. C'est bon ! Je suis en train d'exorciser ma glissade (à pieds, je le rappelle) de notre sortie à l'Etendard, et j'enchaîne rapidement avec un autre virage sauté. Ca y est, la confiance revient d'un coup ! Vinc' est reparti, Matthieu est un peu au dessous. Je me sens si bien que je continue et plonge dans la partie la plus large de la face. Vinc' est comme de coutume efficace et très sûr, dans son style toujours aussi pur: nous ne nous inquiétons pas pour lui, il se fait au moins autant plaisir que nous !

Si Matt décide de savourer ce qui est peut-être la dernière pente raide de la saison, je prends de plus en plus confiance en mes changements de direction, et je descends assez vite. Au beau milieu de la face, quatre alpinistes, que je confonds un instant avec nos deux surfeurs. J'effectue sans y prendre garde une série de petits virages au dessus de leur ligne d'ascension (qui fut la notre d'ailleurs), ce qui a pour effet de leur envoyer de bonnes petites coulées de neige et des petits glaçons en pleine tête. Bah, ça leur créera une ambiance ! Pour eux, c'est l'aventure: corde, baudriers, corps morts... on ne badine pas avec la Grande Casse ! D'ailleurs, d'après Matthieu, ils nous ont chacun mitraillé avec leurs appareils photos.

Je rejoins nos superstars de la planète snowboard, flanqués de Vincent, au col. Seul un petit virage un peu limite, mais à cinquante mètres du bas, est à signaler. Je le fais uniquement parce qu'il n'a (malheureusement) pas échappé au regard espiègle du Matthieu, sans quoi il aurait allègrement été passé sous silence ! Alors que nous échangeons nos impressions respectives, forts du succès de notre entreprise, deux randonneurs débarquent au col. Ils nous demandent bien entendu ce que nous venons de réaliser, nous les renseignons. Nous précisons également que les deux surfeurs qu'ils viennent de croiser (ceux-ci ayant entamé la descente vers la vallée) avaient pour projet de faire les Italiens, mais que les conditions n'étaient pas suffisamment bonnes. Nos interlocuteurs s'étonnent en argumentant que cela a précisément été fait hier.

- "Ca a été skié hier ???" braille un Matthieu interloqué.

- Non non, cela a été gravi à pieds ! répondent les deux skieurs.

- Ah bon, aaah ! A pieds... Ah oui, d'accord... rétorque magnifiquement notre blondinet avec un zeste de dédain que nos amateurs semblent détecter, et dont je me délecte...

Nous prenons rapidement congé de ces personnages qui attendent le reste de leur troupe. La petite partie raide du glacier de la Grande Casse est rapidement négociée. Nous sommes sauvés ! A moins de faire n'importe quoi et de se retrouver au fond d'une crevasse, nous rentrerons indemnes à Grenoble. Oui mais voilà. Douze cent mètres de dénivelée en haute altitude, six cent mètres de face sur une belle montagne, cela ne suffit pas à étancher la soif de pente raide de sa majesté Monsieur Fiori. En conséquence, le voilà qui nous entraîne dans un petit couloir de cent cinquante mètres environ, en face Sud des parois qui bordent le Glacier de la Grande Casse. Personnellement, je n'ai pratiquement rien pu manger de consistant au petit déjeuner, et mes batteries sont mortes. Matt n'a pas l'air au mieux lui non plus, mais c'est bien connu, "on ne se chie pas", et maudissant notre dicton préféré, on emboîte le pas de Vinc' qui est déjà bien engagé dans le couloir.

La montée est des plus pénibles, et seul Vinc' parvient au sommet (sous une petite corniche en fait) dans des délais raisonnables. Matthieu et moi puisons dans nos dernières réserves pour nous hisser jusqu'à notre camarade. Le soleil donne en plein dans le couloir et il fait horriblement chaud maintenant. La pause sommitale est la bienvenue, et nous nous organisons pour prendre quelques photos "raides" afin de flinguer au plus vite la fin de la pellicule de Matthieu, pour enfin récupérer les clichés de nos sorties précédentes (Sambuis, "trilogie" aux Aiguilles d'Argentière, Couloir en écharpe...).

Nous profitons tout de même des derniers virages avant d'atterrir sur le glacier, et de nous laisser glisser jusqu'au Lac Long, point de départ de notre longue course. Nous optons, pour continuer à descendre à skis, pour la face Nord de l'Aiguille de la Vanoise. Une dernière anecdote à ce propos: si Vinc' n'hésite pas à déchausser pour franchir les pierriers que nous rencontrons ça et là, nous autres avons la fainéantise infuse et refusons ce petit effort pourtant largement justifié. C'est ainsi que l'on retrouve, pêle-mêle, Matthieu une jambe au dessus de l'oreille et un ski dans les airs, ou le Lambert, skis aux pieds, en équilibre sur un rocher rond de 80cm de haut, obligé à sauter pour retrouver la neige... Au final, on finit par se fatiguer d'avantage que si on avait franchi ces obstacles à pied

Nous longeons la fameuse aiguille le plus longtemps possible, la neige devenant vraiment pourrie maintenant, d'une couleur marronnâtre qui trahit une fonte déjà bien entamée. Lorsque l'herbe et les cailloux reprennent définitivement leurs droits, nous déchaussons pour de bon, nous déshabillons pour bronzer avec bonheur. Une longue pause va nous permettre d'apprécier notre réalisation, et Vinc', homme de ressources s'il en est, nous offre même le luxe d'un petit café ! Il n'aura pas porté son réchaud pour rien !

La conclusion de cette belle course se déroule le soir, sur le plateau de Saint Nizier, quelque part dans un champ, en compagnie des protagonistes de la sortie, de la belle Mariane, et de quelques centaines de moustiques, autour d'un bon barbeque. Calme, sérénité, plaisir d'être une nouvelle fois en pleine nature sont au rendez-vous. Ce dîner, fort agréable, ressemblait à s'y méprendre au repas de fin d'année du ski team "on se chie pas" (seul La Menace manquait à l'appel. A cette heure là, il buvait lui aussi un petit coup…). Un moment assez "conclusif", pour reprendre un terme cher aux amateurs de musique classique qui laisse cependant présager de nouvelles aventures pour bientôt, que ce soit crampons aux coques et piolets en main, ou torse nu, magnésie et pitons au cul...

Romain Delambert