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Pic de bonheur à l'Etendard...



Le couloir en Echarpe (face Nord)
20 mai 2000.

Vendredi 19 mai, 9h45. Dernier jour de la semaine, le week-end est là, tout proche, on peut presque le toucher. A vrai dire, si l'on se dispensait de l'obligation de passer au travail cet après-midi (faut quand même pas trop pousser !), on pourrait dire que notre week-end est déjà bien entamé: Matthieu et moi-même venons d'achever la descente à skis de la face Nord directe de la Cime du Sambuis (deux mille sept cent trente quatre mètres), en neige assez dure. Un grand moment de plaisir, où les contrepentes Est nous ont permis d'apprécier une neige transformée de bonne qualité. A mille huit cent cinquante mètres d'altitude, nous contemplons les neuf cent mètres de face que nous venons de parcourir, riant en nous imaginant la tête de Max enfermé dans un bureau parisien exigu, épié par un maître de stage manquant cruellement d'humour...

Nous sommes partis de Grenoble vers cinq heures du matin, le massif de Belledonne chargé de nuages. Quelques gouttes de pluie ont parsemé le pare-brise de la fidèle Saxo, alors que le Col du Glandon nous a réservé un accueil carrément hostile (neige, brouillard) mais tellement montagnard…Heureusement, les cieux se dégagèrent ensuite pour nous offrir une très belle matinée ensoleillée. Il nous faut à présent nous hâter de regagner le Col du Sambuis, quelques sept cent mètres plus haut, pour basculer sur l'autre versant, rejoindre la vallée déneigée, sauter dans la voiture, foncer vers Grenoble, lâcher le matériel dans nos appartements, nous doucher prestement, et enfin nous glisser discrètement dans le bureau, ni vus ni connus.

Malheureusement, mille six cent cinquante mètres de dénivelée par très beau temps ne font aucun cadeau à nos pauvres visages protégés par un fond de tube de crème solaire… Nos couleurs vives ne font pas illusion longtemps chez Atos, et nous sommes bien embêtés quand Dom' (tel que nous l'avons surnommé) émet des doutes quant à notre supposé rendez-vous à l'Imag… Qu'importe, demain, nous allons skier de nouveau, et cette fois-ci, pas besoin d'excuse minable ou de permission quelconque: ce sera samedi, et le samedi, c'est ski avec le Fiori !

Une (courte) nuit de repos nous est accordée avant de repartir à l'assaut des montagnes. Le rendez-vous est pris à quatre heures trente en bas de chez moi. Vinc' joue au ramassage scolaire, puisqu'il a ensuite prévu un arrêt au désormais célèbre 24 boulevard du Maréchal Foch dix minutes plus tard. Matthieu a donc droit a un peu plus de répit. L'objectif de la journée est de taille: le couloir Ouest du majestueux Pic de l'Etendard, un bon 5.2 E 2 qui doit nous procurer de belles sensations. Mes affaires sont préparées avec minutie (pour une fois), et j'arrive à profiter de quatre bonnes heures de sommeil… Un petit déjeuner assez copieux, une bonne Carline sortie droit du linge sale (il suffit de la porter à son nez pour en avoir confirmation…), le Dynacham sur le dos, les skis, Scarpa, et bâtons en main, je descends rejoindre la ZX blanche toujours exacte au rendez-vous. Nous chargeons les sacs et les skis, récupérons le grand blond à son domicile, puis filons à bonne allure en direction de Vaujany. En effet, suite à nos différents passages au Col du Glandon, nous avons jugé trop peu commode l'itinéraire passant par le lac de Grandmaison. En conséquence, nous nous élancerons de la Villette, au fond de la vallée, à mille trois cent quatre vingt deux mètres d'altitude. Notre objectif culminant à trois mille quatre cent soixante quatre mètres, on peut dire que la journée s'annonce longue et physique: plus de deux mille mètres de dénivelée, ça commence à compter, sans même parler du portage important qui nous attend.

Il n'est pas 5h30 quand Vinc' immobilise son véhicule après un trajet un peu chaotique sur un chemin défoncé. Une 406 nous rejoint; à son bord des skieurs alpinistes que nous verront parfois en contrebas au cours de l'ascension, avant qu'ils ne quittent notre itinéraire. J'essaye autant que faire se peut, et sans beaucoup de succès il est vrai, de modérer mes propos quant à nos exploits alpins, mais ici, force est de constater que nous avons été extrêmement forts: à 5h35, soit dix petites minutes à peine après notre arrivée au pont de la Sagne, nous décollons, skis au dos, en direction de notre sommet. Les gars de la 406 ne sont encore qu'en sandales...

La première heure d'ascension s'apparente d'avantage à une bonne randonnée estivale qu'à une sortie à skis. A cette faible altitude, tout est bien entendu déneigé, et nous empruntons les sentiers des promeneurs, coupant parfois les lacets pour gagner de l'altitude plus rapidement. Si l'effort physique nous réchauffe rapidement, il suffit de s'arrêter quelques instants pour se rendre compte qu'il fait encore bien frais. Une bonne heure après le départ, et nous arrivons sur un plateau intermédiaire de type "rond point des pistes", où les premiers névés font leur apparition. Sur notre gauche, quatre cent mètres de face assez raides, que l'on pourra skier à la descente, mais qui présentent de nombreux petits ressauts rocheux un peu partout. Cette face débouche sur le plateau des Cavales, à deux mille cinq cent mètres environ. De là, nous entrerons de plein pied en haute montagne.

L'accès au plateau s'avère malgré tout assez délicat. La neige est très dure, les pentes sont déjà raides, les petits passages rocheux méritent attention. J'évite la neige autant que faire se peut, et emprunte de préférence les pentes herbeuses et caillouteuses, plus sûres. Mes deux camarades ne sont pas aussi exclusifs dans leur choix d'itinéraire, ce qui fait que je les perds parfois de vue. Deux heures et quinze minutes après le départ de la voiture, je rejoins Vinc' et Matthieu sur le plateau des Cavales. Comme d'habitude, ils ont quelques minutes d'avance, et cassent la croûte. A partir d'ici, la neige ne fera plus défaut, et nous allons enfin pouvoir chausser les peaux. Matthieu, surf au dos, repart pendant que Vinc' et moi nous équipons. Devant nous, une nouvelle face, raide elle aussi, vire à droite sur le haut et débouche sur un petit col. Deux trois ressauts plus loin à gauche de celui-ci, nous serons au pied de la face Ouest de l'Etendard. C'est avec un certain plaisir que je chausse les skis: le sac s'en trouve allégé, et puis c'est quand même bien plus plaisant !

Si Matthieu coupe directement en direction de la ligne de plus grande pente de la face qu'il nous faut remonter, nous traversons plus à gauche et attaquons l'ascension dans le plus pur style skieur de randonnée: trajectoires en dents de scie. Assez rapidement, Vincent replace ses planches sur le sac et continue à pieds. Personnellement, je me sens plutôt bien, et conserve mes lattes à poils. C'est seulement quand la pente s'accentuera, un peu plus tard, que je l'imiterai. Le sommet de cette face neigeuse est atteint assez vite, et nous faisons notre entrée dans le monde du soleil: un léger répit au petit col sommital nous permet de goûter aux joies des rayons célestes. Pas le temps de flâner pour autant, et nous remontons maintenant sur notre gauche, à flanc de pente, pendant vingt bonnes minutes pour arriver au pied de l'Etendard. Lorsque je dépose mon sac en compagnie de mes camarades, j'apprends qu'il y a du changement: il nous faut trouver un autre objectif de course. Je lève les yeux en direction du couloir Ouest et je comprends pourquoi: le bas du couloir est rocheux, complètement inskiable ! Nous allons donc remonter vers le Nord, en direction du glacier de la Barbaratte, d'où nous trouverons à coup sûr de quoi satisfaire notre soif de pente raide. Le soleil donne, et l'ambiance est bien moins glauque qu'au petit matin, à notre départ. Pendant que mes amis chaussent leurs crampons, j'attaque les quelques minutes d'ascension qui me mènent dans le beau cirque du glacier. De là, repérant plusieurs couloirs possibles, mais ne sachant pas ce que mes compères ont en tête, je fixe mes crampons aux Scarpa, et attends leur arrivée.

C'est décidé: ce sera le couloir de l'Echarpe, en pleine face Nord de l'Etendard. Ce dernier n'a apparemment jamais été skié, et c'est une ligne de grande classe. Nous longeons le glacier vers l'Est, pour nous positionner à l'attaque de la face. Le couloir est impressionnant: long de deux cent cinquante mètres environ, il tire à droite sur toute sa longueur pour sortir au niveau d'une petite brèche située à une soixantaine de mètres sous le sommet du Pic. Vu du bas, c'est très beau, et ça à l'air jouable

Tous munis de crampons bien attachés (Matthieu a dû faire preuve d'ingéniosité pour faire tenir les siens et ne pas revivre la mésaventure du Col des Ecrins…), nous nous lançons dans l'ascension finale de notre journée. D'entrée de jeu, on se rend compte que c'est raide, même sur le socle principal d'accès aux parties supérieures de la face. Au dessus, l'Echarpe se rétrécit, et je vois Matthieu et Vincent immobilisés sous un impressionnant dôme neigeux probablement crée par le vent. Cette véritable épine dorsale du couloir, surprenante protubérance longue de trente mètres et déchirant la face de haut en bas, semble leur poser des problèmes. Je viens de comprendre qu'ils s'entraident pour sortir leurs piolets. Moi, je ne peux pas sortir le mien: déjà trop raide, je risquerai d'être déséquilibré en ôtant mon sac. Tant pis, je continue comme ça. C'est quand même très incliné (au moins cinquante degrés), et puis, je serai mieux au dessus du dos de cachalot, j'irai chercher ma pioche à ce moment là. Matthieu et Vincent, maintenant munis de leurs précieux engins, se défont du dos neigeux qui, plus je m'en approche, me semble extrêmement raide.

- "Ca envoie du bois !" me lance Matthieu, pas du tout sur le ton de la plaisanterie.

- Bah, je verrai bien, me dis-je, sûr de moi.

Au pied du ressaut le plus incliné (cinquante cinq degrés), je dois bien reconnaître que sans piolet, je risque gros: si je viens à chuter, c'est une barre rocheuse qui m'attend vingt mètres plus bas, suivie de quatre vingt bons mètres de neige dure et très inclinée avant la partie la plus plane du glacier. Autrement dit, rien de bon. Je n'ai pas le choix: soit je désescalade, soit je trouve une parade pour contourner le dôme, en espérant que la pente s'adoucisse au dessus, sans quoi je me vois mal skier depuis le haut. J'opte pour la deuxième solution. Au lieu de traverser sur la droite pour enjamber le dôme, je poursuis dans une goulotte verticale qui, une bonne vingtaine de mètres plus haut, semble m'offrir la possibilité de rejoindre avec des difficultés moindres les traces de mes camarades. Je pose mes pieds avec précaution et me concentre un minimum: pas question de faire n'importe quoi et d'aller se tuer pour une seconde d'inattention. Lorsque j'arrive à la sortie de la goulotte, mes espoirs s'effondrent: le couloir est toujours aussi raide, et ceci jusqu'à la sortie. Matthieu et Vincent montent doucement, ils ne sont pas beaucoup plus haut. Matthieu m'avoue qu'il ne m'en tiendrait pas rigueur si je renonçais, et qu'il ferait sûrement de même s'il était en skis. Cette remarque, amicale certes, ne change rien à l'affaire: je me sens presque bien, je suis presque sûr de pouvoir skier ce couloir. Presque. Il y a quand même une part d'incertitude que je ne peux pas négliger, et je ne veux pas me tuer aujourd'hui pour un 5.4 E 4 sur ma liste de courses. Je prends ma décision intérieurement: je chausserai mes skis sous le dos neigeux, là où la pente est toujours bien raide, mais où une petite erreur n'implique pas forcément la mort. Je rejoins Matt et Vinc', qui m'aident à sortir mon piolet. On se sent quand même mieux, nom de nom ! Arrivé aux trois quarts du couloir, je ne vois plus l'intérêt de continuer à monter: j'attaque la désescalade, pendant que mes amis rejoignent le haut, plus très loin maintenant. J'irai me placer juste au dessus du dos de cachalot, pour les voir attaquer les premiers virages. Je prends mon temps, je ne suis pas pressé. Les "Grade 8" aux pieds (!) et ma pioche hyper légère en main, je suis serein. Tout irait pour le mieux si la neige transformait un peu, et si les deux putains d'avions qui se posent sans arrêt sur le cirque de glace en contrebas cessaient leur ballet interminable.

Alors que Matthieu et Vinc' atteignent le pied du petit raidillon menant à la brèche de sortie, je m'arrête: ils viennent de sortir les skis et le surf. Je me taille une petite terrasse confortable pour les pieds, m'installe, quand je me rends compte qu'ils ont abandonné les affaires pour monter légers jusqu'à la brèche… Je peux continuer à descendre

Vingt cinq minutes plus tard, c'est l'heure de vérité. Les gaillards ont rejoint les sacs, passé de longs et délicats moments à chausser leurs engins de glisse; ils sont désormais prêts. Vincent démarre. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il effectue un virage avec beaucoup de détermination ! Sûr de lui, pour ne pas laisser le doute s'installer, il s'est lancé immédiatement. Bien joué ! Matthieu, lui, a beaucoup skié avec moi ces derniers temps, et n'a plus touché au surf depuis la face Nord des Rochères, grand souvenir s'il en est. Cependant, la face était entièrement poudreuse, et il en va tout autrement ici, la neige étant assez dure. Sa dernière sortie dans de telles conditions remonte en fait au couloir Vallençant dans la face Nord de Bellecôte, au mois de janvier ! C'est pourquoi il sera un peu plus long à déclencher son premier virage sauté. Le grand blond n'est cependant pas de ceux qui se dégonflent, et bientôt, il saute lui aussi avec conviction et maîtrise.

A cheval sur le dôme, je me dis que je vais recevoir nombre de petits cristaux de glace sur le coin de la figure si je ne bouge pas. Ils passeront sûrement sur ma droite, là où le couloir est plus large, avant de franchir le ressaut un peu plus bas. Je m'écarte donc sur la gauche, me taille une plate forme pour ne pas choper des crampes aux mollets, et, bien calé, me débarrasse de mon sac pour me préparer à chausser. Plus ils descendent, plus je bouffe de la neige. Elle rentre partout, les bouts de glaçons avec: dans la polaire, dans les chaussures (où les glaçons appuient douloureusement sur mes bleus), sur le sac, une véritable douche. Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils foutent ? Bientôt, j'ai la réponse à ma question: Vincent apparaît vingt mètres au dessus de moi: ils ne contournent pas la protubérance par la droite, mais ils comptent passer par mon couloir d'ascension, un peu plus encaissé. Je suis donc idéalement mal placé ! J'abandonne les skis, attrape mon sac et ma pioche à la hâte, et traverse en vitesse pour regrimper sur la désormais célèbre épine dorsale de l'Echarpe. Matthieu rejoint Vincent, non sans m'en foutre encore plein la gueule, puis se met en position pour prendre une magnifique photo du Vinc' qui tourne sur le flanc gauche du dos neigeux, dans du cinquante cinq ! Mes amis sont maintenant à mon niveau, il reste à peu près quatre vingt mètres de couloir, encore bien raides mais moins exposés. Vinc' me file un coup de main pour chausser, et je vais enfin pouvoir me régaler. Matthieu ne nous a pas attendu et n'est maintenant plus qu'un petit point au beau milieu du glacier de la Barbaratte. Vinc' et moi-même attaquons le dernier tiers du couloir. Je déclenche mes virages avec grand plaisir, la neige est encore dure car elle n'a pas partout été chauffée par le soleil, pourtant maintenant assez haut dans le ciel. Tourner, tourner, encore tourner, c'est vraiment le pied intégral. J'essaye de profiter au maximum de la pente avant de me laisser glisser jusqu'à l'emplacement bronzing choisi par Matthieu, le premier en bas. Alors que je m'arrête, celui-ci m'ordonne:

- "Et maintenant, retourne toi !".

Je m'exécute, et là, stupeur:

- Oh la vache ! C'est hallucinant ! Vraiment impressionnant !

Mes yeux ébahis viennent de dévisager deux cent cinquante mètres de face écrasée par la perspective. D'ici, le majestueux couloir semble vertical. Il est encadré et dominé par d'austères passages rocheux, et il se détache ainsi formidablement de la massive face Nord du Pic de l'Etendard. La surprise est totale. Nous ne nous étions pas rendus compte de l'ampleur de la face quand nous étions dedans, le ventre presque collé à la neige, concentrés sur nos faits et gestes. Mais là, c'est un spectacle véritablement exceptionnel qui s'offre à nous. Nous restons là quelques minutes à contempler cette vue surprenante et très esthétique. Matthieu, qui n'a pas pour habitude de gâcher de la pellicule, se permet même de prendre plusieurs clichés, c'est dire !

Nous repartons, pour du ski plaisir, sur des pentes moins raides. Nous dévalons le glacier en traçant de grandes courbes, puis attaquons une série de petits virages dans les portions plus raides. Chacun y va de sa trace, chacun choisit son itinéraire, nous occupons toute la montagne ! Un plaisir fou ! Nous glissons à bonne allure sur les pentes qui mènent au plateau des Cavales, qui s'avère maintenant bien moins inhospitalier que lors de la première pause matinale… De là, un court déchaussage est nécessaire pour atteindre le sommet de la face surplombant le lieu que j'ai pris la liberté de nommer "rond point des pistes". Il s'agit d'une face de raideur modérée (trente cinq quarante au maximum par endroits), mais entrecoupée de petits passages rocheux de quelques mètres où il sera obligatoire de déchausser. La neige commence à transformer, mais présente encore de nombreuses plaques bien dures, et la méfiance demeure de rigueur. Un petit couloir étroit mène à quelques amas rocheux qu'il faut négocier. Nous déchaussons, et négocions l'un après l'autre cette petite difficulté. J'attaque le passage alors que Vincent vient précisément de l'achever. Il rechausse dès qu'il se retrouve sur un névé lui aussi peu large, après avoir traversé un court pont neigeux. Ce névé est long d'une quarantaine de mètres, à trente cinq degrés, et se termine par une petite barre rocheuse un peu scabreuse où coule un ruisseau. Aucune difficulté dans la partie à skier. Vincent enquille les virages et atteint le petit goulet. J'ai quant à moi retiré un gant pour porter mes skis, mes moufles tri-doigts ayant une adhérence détestable sur les planches mouillées. Bâtons dans une main, lattes dans l'autre, je me retrouve rapidement sur le pont neigeux, que je traverse sans encombres. A ce moment précis, un de mes skis glisse de ma main: un mouvement un peu brusque pour le rattraper in extremis, et c'est la chute sur de la neige dure ! Je lâche immédiatement les skis, et me mets à glisser de plus en plus vite sur le côté, en direction de la barre où se trouve Vincent ! Je me place sur le ventre, en position de l'araignée, mais rien n'y fait, bordel je ne ralentis pas ! Les pieds qui tentent de pénétrer la neige, les mains comme de véritables griffes, je parviens à ancrer mon extrémité dégantée dans le manteau neigeux, et, prenant un peu plus appui sur mes pieds, j'enraye ma chute.

- "Attention Vincent !" hurle je à mon ami, qui se trouve une vingtaine de mètres en dessous, alors qu'un de mes skis fous se tortille dans les airs dans sa direction.

Le ski volant s'immobilise près de lui, l'autre est planté cinq mètres sous moi. Mon cœur bat vite, mais je m'en suis sorti. Quelle chaleur nom de Dieu ! Je viens de faire une glissade de vingt mètres, comme ça, pour rien, alors que les dangers les plus importants de la journée étaient loin derrière nous. Une pente anodine, mais de la neige dure, un mouvement causant un léger déséquilibre, et j'ai bien failli me faire très mal ! Je pense effectivement qu'en arrivant vite sur le passage rocheux, il y avait moyen de bien s'amocher…

Je récupère mon matériel qui, heureusement, n'a pas souffert, et rejoins Vincent. Nous passons les quelques rochers qui nous séparent d'une nouvelle pente de neige, celle qui nous mènera jusqu'à la zone définitivement herbeuse où le portage sera nécessaire. Cependant, porter de mille huit cent cinquante jusqu'à mille trois cent quatre vingt mètres alors que l'on a skié presque un kilomètre et demi, en plein mois de mai, cela reste honnête ! La neige est vraiment mauvaise ici: c'est soupe-land… Matthieu a opté pour une petite terrasse riche en herbe au bout de l'ultime langue de neige. C'est là que nous bronzerons un bon coup en dégustant quelques victuailles sorties du fond de nos sacs, et en jouissant pleinement de cette belle journée de printemps.

Que retenir de cette sortie au Pic de l'Etendard ? Tout d'abord, et c'est le plus important, que le couloir de l'Echarpe a été intégralement skié et surfé par Vincent Fiori et Matthieu Bordin. Une sortie à succès donc, un succès qui s'était parfois refusé à eux ces derniers temps. Ensuite, que pour la première fois depuis longtemps, j'ai su renoncer à temps: si j'avais une chance de réussir l'intégrale moi aussi, j'ai su écouter la voix de la raison, et rentrer vivant dans la vallée, en ne skiant que le bas. Ce n'est pas une expérience inutile… Enfin, que le ski alpinisme est vraiment une activité géniale. Elle combine effort physique de longue durée, plaisir intense du ski, gestion du mental, et partage d'une journée en montagne avec des amis. Si quelques sports peuvent s'enorgueillir de proposer une de ces composantes, rares sont ceux qui les marient avec autant d'harmonie.

Romain Delambert