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Couloir Nord du Diable

7 Juin 2001

8 juin 2002

Pourquoi cette envie de décrire cette sortie ? La notoriété de l’objectif, l’incertitude sur la réussite du projet liée à la météo, les difficultés rencontrées, en ski certes mais surtout en matière de jugement, d’évaluation des conditions ? Un peu tout cela certainement mais surtout le fait d’être seul décuple les doutes, augmente indéniablement l’engagement psychologique du ski de couloir. Bref accentue l’impression de difficulté et me pousse à tenter d’écrire. C’est aussi en quelque sorte une façon de « rendre compte » à Mariane et à Maïa…Et puis, quand on est seul, il n’y a personne pour nous contredire, pas de témoin des scènes, je vais donc pouvoir sans crainte broder et m’attarder sur des détails qui ne pourront jamais être remis en doute ! Plaisanterie mise à part, c’est l’occasion de retranscrire ce que j’ai dit à mon compagnon imaginaire lors de cette journée.

Un petit peu d’histoire sur cette course:

Quand, avec Christian, nous discutions de ses descentes, je ne connais le Col du Diable que de nom, et qu’à travers la photo dans le Rébuffat. Le couloir apparaît ici terriblement austère, noircit par la glace sur toute sa hauteur et aidé par une prise de vue de face très aérienne. Christian me décrit alors quelques morceaux de cette descente réalisée en neige dure. Je résumerai ses propos par l’extrait suivant : A la question « tu referais cette descente ?», il répondit « je signerai mon testament avant ! ». Ceci est bien sur à pondérer avec le personnage, mais donne quand même une idée de l’ambiance du couloir.

- Peu de temps après, lors d’une randonnée vers le Pic de Chamoissière, avortée à cause du caractère bruyant de la couche de neige fraîchement déposée, je décide d’aller jeter un œil à ce couloir. Nous sommes en avril il me semble, et la remontée du vallon du Clôt des Cavales se fait sont un soleil écrasant, la neige colle aux skis et j’arrive suffoquant en vue de la bête : Tout est calme, désertique et le couloir, strié par la glace et bien qu’encore loin, paraît élancé entre les falaises qui le bordent et l’ambiance froide et sombre du couloir contraste avec l’inondation de lumière qui règne ici. L’heure est uniquement à la contemplation et loin de moi l’idée d’aller, ni aujourd’hui ni demain, traîner mes lattes dans ce machin. La journée se termine par l’abominable séance de poussette-sauna sur la neige ramollie du plan de l’Alpe.

- Le temps passe et je rencontre mes compagnons de ce qui deviendra rapidement le BLMS, avec qui la pratique du ski de couloir se radicalise et s’accélère indéniablement (je le sais  je me répète cf. le récit du Couturier !). Nous sommes alors fin mars 2001, les perturbations venant du sud Ouest nous arrosent depuis 3 semaines et, si en moyenne montagne les conditions sont moyennes, en haute montagne les hauteurs de neige sont déjà significatives et permettent d’espérer un bon remplissage des couloirs. Max, Matthieu et moi avons quelques jours de congés et profitons de la fenêtre météo annoncée pour tenter le Diable. L’arrivée au refuge de l’Alpe se fait à la nuit tombante et nous découvrons avec surprise que le refuge a fait le plein : Un groupe de randonneurs Cafistes en raquette occupe les lieux. Soit, nous ne resterons pas longtemps car, une nouvelle perturbation étant annoncée, nous nous lèverons tôt. Arrivée en vue du couloir, on découvre que l’étranglement médian est resté en glace. Rien de grave, les plans « réchappes » ne manquent pas dans le coin et nous nous dirigeons vers son voisin le col de l’Ange qui nous réservera une magnifique descente, dans une neige de fort bonne qualité. Cette journée se termine à Venosc au chalet Bertrand, sous la pluie, quelques dérapages en 106 nous étant gracieusement offerts par notre hôte sur le chemin du retour. Ces quelques jours se poursuivront par un but météo-neige au Glacier Noir, puis une descente épique du Grand Pic de Belledonne.

- La 2eme tentative a lieu en juin de la même année : Matthieu et moi décidons, par une journée froide et sèche précédée des inévitables journées de canicules, de retourner dans le coin. Objectif avoué : Enchaîner Col du Diable et Face N du Pic Maître à la Grande Ruine. Rapidement, nous comprenons que l’idée de commencer par le Diable n’est pas du meilleur goût, il reste à l’ombre et ne dégèlera que très tard. Laissons les quelques cordées se battrent dans le couloir et allons faire un tour dans la belle pente NE de la Grande Ruine, qui ramasse les premiers rayons de soleil. Une fois dans la pente, il faut se rendre à l’évidence : rien ne dégèlera aujourd’hui et une descente difficile nous attend. Ca ne manque pas, et le surf de Matthieu hurle son mécontentement en raclant la surface durcie. De retour à la rimaye, fatigués mentalement, nous décidons sans trop de peine de ne pas rempiler pour une 2ème bataille. Ainsi se terminait cette incroyable saison 2001 de ski en Oisans.

Nous sommes maintenant en juin 2002, la saison a été très sèche, et les couloirs ne se sont remplis que très tard. Quelques échos des conditions vers le Glacier Noir, col Est du Pelvoux en neige, Sans Nom et Coup de Sabre aussi me poussent à repenser à cet objectif pour ce qui sera certainement le baroud d’honneur de la saison « Ecrins ». Je suis en congés depuis une semaine et un temps instable fait suite à la canicule. Très bien, voilà du temps pour profiter de Maïa et de Mariane, ravie par cette météo calamiteuse. Le temps se refroidit enfin, et une chute de neige modérée doit arriver, suivie par une fenêtre -disons plutôt un calus trou- de beau temps.

Max et Matthieu, qui avaient initialement prévu de poser 2 jours afin de faire quelque sortie, ont finalement cédé devant les prévisions météo. Si la position de Max, étant à Paris et devant développer une logistique certaine pour venir dans nos contrées se justifie, je reste interrogatif quant à la non-motivation de Matt sur ce coup : Pas envie de porter les skis, de dormir en refuge, de skier tout simplement ou alors j’ai fait un de ces jours une mauvaise blague qui n’est pas passée ?

Quant à Romain, il était exclu des débats : Travaillant depuis peu en Suisse, il était hors de question pour lui de se libérer.

C’est donc seul qu’il faut envisager cette sortie. Je ne recherche ni ne fuis la solitude en montagne, il faut d’ailleurs avouer que l’ambiance est dans ce cas tout à fait différente est peut se révéler plaisante.

La route d’accès à la Grave étant fermée toutes les nuits entre 20h30 et 6h30, c’est le jeudi 6 juin que je me dirige vers le Pied du Col afin de passer la nuit au refuge de l’Alpe du Villar d’Arène. C’est là que commencent les difficultés, se débarrasser des fléaux, doubler les innombrables camions, pour finalement être stoppé toutes les 10 bornes par un feu-DDE durant des longues minutes. Bref, même si à l’aller rien ne presse, on ne peut s’empêcher de déplorer cette perte de temps et par ailleurs la politique menée en faveur du transport routier dans nos vallées alpines.

La pluie, continue au départ de Grenoble, laisse rapidement la place à un temps sec et plutôt frais, tant mieux, j’épargnerais, pour aujourd’hui seulement, de transformer mes vieilles baskets en éponge et garderais ce soir les pieds au chaud dans ces pantoufles sans semelles et aux multiples aérations.

Au refuge, un jeune skieur sursaute à mon arrivée, il est environ 19h et des bancs de brouillard nous immergent parfois dans une froideur humide. Au gré des éclaircies, on aperçoit quelques sommets dont le haut de la pente NE de la Grande Ruine. Il n’a visiblement pas beaucoup neigé. Quelque part je préfère cela pour la suite, les pentes d’accès, le glacier, la rimaye, mieux vaut ne pas trop brasser dans ces zones.

Les éclaircies ont rapidement cédé devant les nuages et avant 21h il commence à pleuvoir. Je crois m’endormir bercé par le chuintement de la pluie sur le toit du refuge…

3h, ça bouge en bas, coup d’œil par la fenêtre : Complètement bouché. A 4h ma montre donne l’ordre d’aller voir dehors : Une bruine tombe régulièrement, peu de vent, et il fait très doux, peut-être même plus chaud qu’hier soir. Autant dire que cela ne sent pas vraiment le beau temps, retour à la position horizontale pendant que mon voisin part en direction des Agneaux. 4h50, il ne pleut plus mais c’est toujours le brouillard. C’est plutôt résigné que je quitte le refuge peu après 5h, essayant de me convaincre que la ballade au refuge du Pavé, que je ne connais pas, doit valoir le coup.

Les baskets sont rapidement trempées. Fort de la mésaventure du Glacier Noir, c’est à  Valfourche que j’abandonne une partie du matériel afin de le récupérer en cas de circuit par le vallon de la plate des Agneaux.

Brouillard et lunettes ne font pas bon ménage, et il faut constamment essuyer les verres. A chaque brin de vent j’oriente mes carreaux vers la source de froid afin de limiter la condensation, en vain…Pour les lunettés, le mauvais temps est doublement frustrant.

Il commence à faire un peu plus jour maintenant, et il me semble bien apercevoir quelques sommets sur la droite. Effectivement, le brouillard vient de se déchirer, ou plutôt d’onduler car il ne disparaîtra que plus tard. J’aurais été très content si au-dessus de cette première couche ne se dévoilait pas un plafond à plus haute altitude, dense, gris et moite. C’est toujours mieux que la tempête mais ce n’est pas encore le grand beau.

Vers 2300m, un névé qui semble être le début de l’enneigement continu me permet de chausser. Quel bonheur de quitter les baskets et d’enfiler les pieds dans des chaussures maintenant sèches, et bientôt chaudes. Une brève excuse à mon sac qui va devoir les accueillir.

Il n’y a aucun regel bien sur, et je poursuis la montée le plus souvent dans le brouillard qui est maintenant revenu, et qui s’accroche de toute évidence plus haut sur les sommets. Cet épisode est à l’image de la journée qui s’annonce : une succession de doutes et d’espérances, d’espérances et de doute.

La marche sur glacier n’est pas ce qu’il y a de plus agréable, surtout dans le brouillard et avec cette sous couche  « polenta ». J’avance doucement, attendant parfois quelques instants que la visibilité s’améliore et me permette de distinguer les formes : un résidu d’avalanche, de séracs, un bout de crevasse ? Toujours aussi pénible cette vision…

Je me tiens sur le bord gauche du glacier, me souvenant vaguement que par-là il n’y a pas de trous. Il y a quand même quelques bouts de glace qui dépassent juste à droite. Ici, la neige a réussi à s’accumuler et je fais conversions sur conversions pendant une 20aine de mètres. Au moment de surmonter la glace, je tâte du bâton : c’est bien ça, la fine crevasse se poursuit jusqu’ici. Le talon de mon ski s’y bloque, et me voilà rampant comme un gland pour sortir de ce passage, plus merdique compte tenu de ma technique d’attaque que réellement dangereuse. Je suis décidément friand de ces auto-mises en situation merdique et peste sur le ridicule de ma position.

Pendant ce temps, le ciel s’est miraculeusement dégagé et le brouillard se cantonne au fond du vallon, maintenant dessous. Les prévisions météo étaient donc justes, prenons en note.

Au-dessus, je peux enfin voir le couloir qui ne s’est laissé qu’entrevoir jusqu’ici : S’il est globalement blanc, dans le détail c’est moins réjouissant, une goulotte strie la moitié inférieure, témoin de la douceur d’il y a quelques jours, et des lignes de neige jaune parcourent le couloir en différents endroits. Il est clair qu’une descente tranquille en poudre tassée est désormais exclue, mais la neige dure, quand l’accroche est bonne, réserve souvent de bien belles descentes. Allons voir de plus près. Le cheminement est maintenant simple et visible: Contourner une barre de séracs, franchir la rimaye qui, sur la gauche, est bien bouchée et revenir dans l’axe du couloir.

Je me trouve juste à coté de l’énorme sérac soutenant le couloir, et, après avoir observé quelques instants ces sculptures de glaces, alors que j’engage une conversion, un bruit de canon suivi immédiatement d’une vibration dans la pente me secouent le corps. Tout se passe très vite : En un instant mon rythme cardiaque accélère effroyablement et, une seconde plus tard, une sensation très désagréable parcourt mes muscles. Dans le même temps je peux constater que je suis toujours campé sur mes deux skis et que rien n’a bougé autour de moi. Il s’agissait seulement d’un mouvement du sérac qui a propagé une onde dans  le manteau neigeux. Jambes tremblantes, je crois bien avoir copieusement insulté le sérac en partant, il resta cette fois de marbre !

La rimaye ne pose aucun problème et au-dessus, j’échange les skis contre les crampons, fixe le tout sur le sac et poursuit en traversée sur la droite. La neige est ici poudreuse et relativement profonde, je ne distingue plus la goulotte ni les traînées jaunâtres de tout à l’heure : Aurais-je rêvé ? Pas vraiment, de retour dans l’axe, la neige froide laisse rapidement place à des plaques de neige durcies. La pente se redresse un peu, l’encaissement augmente et j’avance sur le bord gauche de la goulotte dans laquelle descend en continue une coulée de poudreuse, parfois accompagnée de quelques petits glaçons inoffensifs qui toquent sur mon casque. Les contres pentes sont raides et le plus souvent très étroites et déversées, cela ne sera pas du grand ski.

C’est là que commence le délicat travail d’évaluation des conditions de neige : Je gratte avec la panne de mon piolet, tape du poing, caresse la croûte avec la main pour tenter de sentir quel sera le comportement des carres sur cette substance : Ici, ça doit tenir, là la goulotte peut être traversée, ok pour ce passage, poursuivons jusqu’à l’étranglement.

Le couloir fait un coude raide et étriqué sur la droite, la neige est à nouveau froide mais les coulées ont creusé des baignoires et tous les projectiles sont canalisés dans ce passage. Le déchaussage à la descente me semble alors inévitable, il n’en sera rien. Cette erreur de jugement révèle quelque peu l’état de tension qui m’habite à cet instant, qui se poursuivra pendant toute la montée.

Je surmonte ce verrou, lève les yeux et reste impressionné par la suite : Si la goulotte a maintenant disparue, le spectacle qui s’offre à moi n’appelle pas à une grande sérénité. La pente n’a pas perdu un degré et la topographie en surface laisse présager beaucoup de changements de neige. Une pause d’impose : Je découvre la majeure partie du couloir mais la sortie ne me paraît pas suffisamment enneigée, des rochers affleurent partout. J’ai les pieds dans la poudreuse, mais visiblement cela ne va pas durer. La question vient alors : Poursuivre ou faire demi-tour, descendre à pied et chausser sous le ressaut ou monter et faire le tour par le sud ? Finalement l’idée de la ballade par Adèle Planchard n’apparaît pas si mauvaise et m’incite à continuer vers le haut.

Les bandes de neige froide alternent avec des sections en vieille neige dure : Le nez sur cette surface, je dois reconnaître qu’ici il y a moins de relief, que la couche de neige est plus dure et que le grip sera certainement moindre.

Quelques centaines de pas et une bonne crise d’onglée plus tard, je suis en haut de la grande pente et m’engage dans la bretelle sur la gauche permettant de rejoindre le col. La pente s’accentue encore et une sous couche glacée apparaît. Cette fois c’est clair, ici, ça ne tourne pas à ski. Fatigué de ces tergiversations, j’établis le programme suivant : Monter et se casser de l’autre coté se faire bronzer.

La pente se couche provisoirement sur quelques mètres, puis, sous la corniche se redresse méchamment. Les derniers pas sont lents, je dois dégager la neige qui part en plaques devant moi, monter les pieds en ayant pris soin d’ancrer correctement le manche de mon pieu à neige, me hisser et refaire cette manip qui devient de plus en plus pénible au fur et à mesure que la corniche se rapproche. Ca y est, mes skis sont au soleil et dépassent du col, je plante le piolet de l’autre coté et sens immédiatement la chaleur sur ma main, encore un pas et je suis ébloui par toute cette lumière soudaine…quel contraste !

Je reste un moment dans cette position, à moitié dans le soleil, je regarde en bas, le couloir qui appartient presque au passé, devant moi la barre des Ecrins, le sommet de la Grande Ruine à droite, pas une trace nulle part, pas un souffle de vent. Je ressens là la quiétude d’une fin de course…pourtant à cet instant c’est plutôt l’odeur du but qui devrait dominer.

Encore un moment de doute : Est-ce que l’état du couloir justifie vraiment une retraite ? Est-je vraiment envie de descendre tranquillement sur les pentes transformées de l’autre versant ?

Derrière moi, une petite coulée part dans les pentes du Pavé. Comme superstitieux, j’interprète cela comme un signe, la décision est prise, l’énième et dernière réponse: Je descends par où je suis monté, là au moins je sais où je vais.

Curieusement la tension nerveuse diminue, certainement parce que je ne me pose plus de question, j’y vais et c’est tout ! Je sais que le style de cette descente ne sera pas un modèle de propreté, tant pis.

C’est donc serein que je désescalade les derniers mètres sous la corniche. Je creuse une petite plate forme, plante mes skis et fait les bricoles devenues routinières. La pause est courte, de toute manière les biscuits au sésame ne passent plus depuis quelques courses, il va falloir changer de goût ! Je n’oublie pas de coincer le piolet sous la bretelle du sac à dos, et c’est parti !

La pente n’est pas trop forte ici mais la neige a une consistance qui n’inspire pas confiance quant à sa stabilité. Il me faut quelques mètres avant de faire le premier virage. Les suivants s’enchaînent bien jusqu’à ce que j’arrive dans le bombement. Les skis touchent la surface glacée, l’accroche est tout à fait insuffisante et déjà je sors le piolet. C’est parti pour 15 mètres dans le pur style du Grand Pic de Belledonne.

Sorti de ce passage, la pente se calme un peu et je remballe l’artifice. Quelques virages dans une neige froide, très bonne, puis c’est la première plaque de neige dure. J’y engage prudemment les spatules…oh la, ça ne s’accroche pas beaucoup, juste bon pour traverser sur la gauche et aller attraper le champ de poudre. Des bandes de glaces noires toutes proches laissent présager la faible épaisseur de neige sur laquelle je me trouve. Toujours lentement, je dérape un peu pour tester la neige et rapidement je mets à nu une surface lisse, sombre et dure. Super ! Re-dérapage, je tâte du bâton : Ca à l’air plus épais maintenant. Petit saut, les skis touchent la glace. Ca ne doit pas trop gêner. Virage. La réception est douce mais lorsque je me retourne la trace est noire et la glace est découverte. Cette situation dure pendant quelques dizaines de mètres : Dérapages, virage, et merde encore la glace, re dérapage…

Un peu plus bas, la glace a disparu mais il faut maintenant composer avec les bandes de neige dure alternant avec la neige froide. Au fur et à mesure de la descente, l’accroche sur les parties bétons augmente et je tourne partout, allongeant au maximum chaque virage afin de grignoter la pente.

Voilà le passage du goulet, qui ne semble pas si terrible vu d’ici. Effectivement, il ne pose aucun problème et je me trouve maintenant au sommet de la goulotte. La pente s’est franchement adoucie mais la goulotte prend beaucoup de place et c’est encore à grand coup de dérapages que je me sors de ce passage.

Le couloir s’élargit enfin, la neige jaune est bonne ici, les courbes s’enchaînent, la goulotte est traversée et la poudre prend définitivement le dessus…Petit coup d’œil en arrière et brève discussion avec ce bout de pente qui m’a décidément bien torturé.

Je franchis la rimaye, descend un peu et je viens me poser sur le glacier pour une séance photo, déshabillage et réflexion sur les instants qui viennent de se dérouler : Cette expérience a mis le doigt sur l’importance de l’aspect psychologique et la subjectivité de l’appréciation des conditions dans ce type de ski. Je ne saurai jamais si cette neige méritait réellement ces hésitations. Etait-ce du à ma solitude, à l’ambiance austère des lieux ?

L’adrénaline s’est cantonnée à la montée, le stress s’est évacué en haut et fait place tantôt à la sérénité, tantôt à une sorte de résignation quand les virages ne voulaient pas se faire.

Il règne maintenant un calme et une douceur caractéristique, le bonheur en fait.

Alors que je quitte le vallon, l’impression étrange que le Diable me regarde du coin de l’œil…

C’est le moment d’aller retrouver la petite famille.

Vincent Fiori.