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Couloir Nord des Bans


17 juillet 2000

[...]
Revenons maintenant à nos moutons. Notre début de vacances s'est donc avéré riche en émotions, mais le meilleur restait à venir. Le 17 juillet, je débarque à Vénosc, où se trouvent déjà Matthieu et Maxime. Objectif : le couloir Nord des Bans, le lendemain. Soit. Nous partons assez tard en direction de la Bérarde, après que je me sois brouillé avec la moitié du camping et les voisins de la famille Bertrand pour une sombre affaire de voiture... Il fait très beau, très chaud. La montée vers le refuge de la Pilatte est longue, mais agréable. L'interminable portion de faux plat initiale nous permet de nous mettre en jambes, et de découvrir le couloir Nord, que nous convoitons. Je me tape une bonne fringale sur la fin, et la raide ascension vers le perchoir de la Pilatte me coupe les pattes : je ne suis pas mécontent d'arriver. Les Bans sont magnifiques. Le couloir Nord, lui, est majestueux, mais son accès reste protégé par le glacier de la Pilatte, très crevassé, et surtout par la fameuse rimaye du bas qui, selon Rébuffat, peut à elle seule entraîner un horaire multiplié par deux. Voilà qui ressemble à une très belle course d'alpinisme, nous allons nous régaler ! Nous prenons place dans notre dortoir. Il semble y faire froid, et bien sûr, c'est assez sale, mais bon, nous sommes en refuge. Le temps de sympathiser avec une charmante jeune femme qui aspire à devenir gardienne, de faire les malins dans tout le refuge en annonçant des chronos ahurissants et une heure de retour précoce, et nous voici à l'ouvrage pour préparer le dîner. Nous avons entre temps appris qu'une cordée a fait l'ascension du couloir pas plus tard que samedi 15, mais les alpinistes sont rentrés fort tard. Ma polenta ne sera même pas nécessaire : la dose de couscous que nous cuisinons pourrait rassasier un régiment entier, même si ce n'est pas du menu trois étoiles. Une fois la panse remplie, nous préparons un peu notre matériel, et prenons la direction de notre petit dortoir, que nous partageons, ironie du sort, avec un groupe auquel appartient une CAFiste que j'ai eu l'occasion de rencontrer à Berthe de Boissieux : elle encadrait au CAF à 20h le jeudi, soit le créneau suivant le mien. Le refuge de la Pilatte est petit, ma foi...

La nuit est, comme d'habitude, très courte en refuge, mais elle est bonne et réparatrice en ce qui me concerne. Il n'en va pas de même pour mes deux compagnons, qui se plaignent de mes ronflements et de je ne sais quoi d'autre. Etant donné que je suis préposé au réveil, je me fais donc logiquement régulièrement réveiller par ces deux énergumènes désireux de connaître l'heure. Misère ! A deux heures, nous émergeons. Frontale sur le nez, nous nous rendons dans la salle à manger, déserte. Nous sommes les seuls à tenter le couloir Nord, et nous sommes donc les premiers debout. Enormément d'alpinistes sont là pour faire Gioberney, sommet assez banal, mais très accessible. Ils ne partirons que vers sept heures du matin, et nous pourrons suivre leur procession depuis notre couloir. Une fois n'est pas coutume, notre préparation n'est pas très rapide. Nous prenons le temps de bien déjeuner, de parfaire nos sacs, de nous couvrir, puis nous poussons la porte du refuge et nous enfonçons dans la nuit. Il est trois heures moins cinq. Après dix minutes de marche sur sentier, nous devons désescalader quelques échelles et câbles, pour nous retrouver sur la moraine du glacier. Un quart d'heure plus tard, nous nous arrêtons pour fixer les crampons. Je suis le seul en coques. Max a ses " cuir " habituelles, alors que Matthieu inaugure ses magnifiques Salomon. Nous nous frayons un chemin entre les crevasses, et l'ambiance est au rendez-vous : la nuit englobe un monde féérique, fait de craquements, de grincements, de glace bleue, de sommets sombres, et de solitude. Tout le contraire de " l'alpinisme de masse " que l'on peut rencontrer, surtout à cette période de l'année, dans le massif du Mont Blanc par exemple.

Bientôt, alors que nous contournons d'énormes séracs par la gauche, nous nous munissons de nos piolets. La pente s'accentue, nous sommes désormais encordés, et notre rythme est tout à fait honorable. J' en veux pour preuve, une déclaration du Bordin qui pense que nous allons un poil trop vite. Quand on connaît ses qualités d'endurance en montagne, on ne peut que reconnaître que nous avancions à bonne allure. En deux heures à peine, nous sommes au pied de la rimaye, qui n'a pas trop mauvaise mine si on l'attaque par l'extrême gauche. Il est presque cinq heures quand Max plante ses Najas dans la glace bleue de cette lèvre béante. Je l'assure avec un relais neige fait de deux pioches, on verra. Bientôt, il s'est affranchi de la difficulté, et je peux le rejoindre. Je m'empresse de m'engager dans les quelques pas de mixte qui me séparent de lui, et j'assure ensuite Matthieu, qui me suit et se joint à nous rapidement. Nous voici maintenant dans le bas du couloir à proprement parler. Pour l'instant, il s'agit de neige, mais nous ne tarderons pas à trouver de la glace pour une bonne partie de l'ascension. Nous décidons de progresser corde tendue. Le couloir s'étale sur environ 350m de long, nous devrions y être assez rapides. Max prend la tête, et nous avançons par à-coups, alternant progression rapide et instants de repos pour nos mollets meurtris. Première surprise :

- " Putain les mecs, ils ont laissé une broche les cons ! " s'exclame La Menace, tout heureux de cette découverte. A trois cent balles le bout, nous ne sommes pas venus pour rien !

Nous essayons de conserver au moins un point d'assurage pour la cordée, histoire qu'un piolet qui désancre ou un crampon qui ne griffe pas ne se solde pas forcément par trois morts… L'escalade est de toute beauté, la glace bleue s'avère cassante, et les suivants en prennent souvent pour leur…matricule, mais l'ambiance " face Nord " est indéniablement grandiose. Au fur et à mesure que nous grimpons, le jour se lève, nous découvrons le glacier de la Pilatte, Gioberney, le refuge, et l'ensemble du massif des Ecrins. Un spectacle unique, dans un couloir austère mais de toute beauté. Bientôt, de petits personnages apparaissent sur le glacier : ils sont arrêtés, ils nous ont sûrement repérés, et ils doivent suivre notre progression. Nous ne tardons pas à continuer à gagner de l'argent : La Menace découvre une seconde broche. C' est une véritable caverne d'Ali Baba ! Les gars qui sont montés samedi ont du sacrément se faire peur pour abandonner autant de matériel dans la voie. Le ressaut le plus délicat se penche à plus de soixante. La difficulté intrinsèque du passage n'est donc pas extrême, mais nos mollets sont détruits. Il faut faire des pauses assez régulièrement pour se refaire une petite santé. Au total, jusqu'à la sortie du passage de glace pure, nous récupérons quatre broches ! Un vrai festin ! Matthieu a repris la tête pour la fin du couloir, et, après un passage en neige plus aisé mais impossible à protéger, nous débouchons sur une brèche très fine et bien exposée au vent. Nous sommes à plus de trois mille six cent mètres d'altitude, et il fait froid. La fidèle Suunto indique à peine huit heures vingt.

- " Nous avons bien turbiné ", annonce-je, trois heures vingt cinq minutes depuis le pied des difficultés, c'est honnête.

- Oui, renchérit Matthieu, Rébuffat annonce de trois à sept heures pour ce parcours. Il précise que c'est la rimaye qui est généralement responsable des horaires à rallonge.

Un choix s'offre à présent à nous : prendre à gauche et rejoindre le sommet des Bans, par une arrête en mixte peu évident, puis redescendre par la voie normale, ou regagner la fameuse arête Santi, vers la droite, et taper des rappels pour retomber sur le glacier. Nous avons froid et faim, le choix est vite fait : ce sera une descente par l'arête Santi, enfin, si nous la trouvons ! Nous sommes en effet partis " à poil ", comme on dit : sans carte, ni topo. Tout ce dont nous disposons est une brève description de la gardienne au refuge. Encore faut-il s'en souvenir avec précision… Bref, nous voici partis. Nous avançons de quelques mètres pour trouver un abri un peu plus confortable, et si possible au soleil, pour casser la croûte. Une fois engloutis quelques " goûters aux écorces confites ", nous décollons pour de bon. Nous avons été très rapides pendant l'ascension, il s'agit maintenant d'être efficaces au cours de la descente. Le parcours d'arête est des plus sympathiques, gazeux, et offrant un belvédère sans pareil sur tous les sommets plus au Nord dans les Ecrins. Nous passons le sommet Nord Ouest, qui culmine à trois mille six cent trente mètres. Nous sommes bientôt rendus autour d'un gros bloc rocheux, encerclé par quelques sangles plus ou moins récentes, et munies d'un maillon rapide. Nous sommes arrivés au début des rappels, sans aucun doute.

Le premier rappel se déroule sans trop de problèmes. Le Max, qui a encore une fois voulu faire le malin, décide de descendre sans son " Snap ", avant de se raviser à mi chemin et de le sortir à la hâte. A part cela, rien de bien marquant à signaler. La corde donne un peu de fil à retordre avant de bien vouloir se faire rappeler, mais tout se passe bien. Le second relais ne semble cependant pas correspondre à la suite de l'itinéraire. Nous décidons donc de décaler le second rappel sur un gros rocher une dizaine de mètres en contrebas. Ma cordelette de réchappe est pratiquement toute utilisée pour faire le tour du bitard. La pente est moins raide, mais parsemée de rochers et de petites zones de glace vive. Evidemment, le coup ne rate pas : la corde, cette fois-ci, se coince irrémédiablement. Nous avons beau tirer comme des brutes ou envoyer des ondes aussi molles que possibles, rien n'y fait. Cette nouvelle attriste tous les membres de la cordée. Alors que Matthieu et moi-même nous montrons peu enclins à remonter ce petit morceau de mixte, Max se motive, récupère un Naja, et se lance à l'assaut de la face, muni d'un prusik sur le brin récalcitrant. Il grimpe jusqu'à un caillou " en V " source de nos ennuis, libère la corde, puis désescalade prudemment, assuré par nos soins depuis le relais du dessous. Lorsque Max est de nouveau parmi nous, nous sommes rassurés, mais nous souhaitons ne pas revivre pareille mésaventure. La suite se déroule un peu mieux. Les relais ne sont pas toujours très confortables (pratiquement jamais d'ailleurs), les rappels sont fastidieux, souvent en traversée, mais nous perdons de l'altitude, c'est déjà ça ! Certaines cordelettes sont pourries, il faut faire des offrandes au Dieu du Rappel pour qu'elles tiennent encore un peu, et puis nous sommes bientôt à moins d'une longueur des pentes neigeuses du glacier. Un dernier rappel pour passer une rimaye…inexistante à l'endroit où nous la franchissons, mais de plusieurs mètres juste à côté, et c'est la neige ! Nous sommes sauvés. Une fois tous rendus en bas des rappels, nous décidons de rejoindre la voie normale en traversant sur la droite, plutôt que de descendre droit " à vue " vers la moraine, et se heurter probablement à d'autres difficultés (séracs invisibles d'ici…). Nous n'en avons plus la force, autant faire au plus facile. Nos sacs sont rapidement ôtés, et placés sous nos fesses. Les traces que nous laisserons sur le glacier à dévaler les pentes sur le cul seront visibles du refuge jusqu'à la prochaine chute de neige !

Il est presque quatorze heures trente quand nous regagnons le refuge. Le soleil tape fort dans le ciel, et il fait même chaud, ici, à deux mille cinq cent soixante dix mètres d'altitude. Nous commençons par enlever nos chaussures pour sauter dans nos légères sandales, un délice, avant de nous offrons un sandwich, et passons de longs moments à bronzer au soleil, les yeux rivés vers le ciel, et parfois vers les Bans. L'occasion rêvée de mieux connaître les gardiennes et gardiens qui travaillent à la Pilatte…et bien évidemment, de faire les malins sur notre réalisation du jour ! L'occasion aussi d'essayer de comprendre quel fut notre itinéraire de descente. Un beau méli-mélo apparemment, fait d'arête Santi, de couloir Macho, probablement une nouveauté ! Qu'importe, notre sortie fut un succès, la météo fut clémente, et le Dieu du Vieux Campeur nous a fait gagner quelques mille deux cent francs. Une paille quoi ! Nous quittons l'abri escarpé vers dix sept heures trente pour regagner la vallée, enchantés, mais fourbus et pressés de rentrer dans le confort et la chaleur du désormais célèbre " Chalet Bertrand " à Bourg d'Arud…ou une petite douche ne nous fera pas de mal !

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