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Haute tension

Voyage en Aravis


1er mars 2002

J'ai hésité, j'avoue. Un sous titre racoleur du style " les gros kikis en Aravis ", ça m'a tenté. Et puis finalement non… Comme quoi ! Début mars 2002. Dans moins de trois semaines, le printemps ! Déjà, eh oui… Comme quoi ! Hiver, qu'es tu devenu ? Deux chutes significatives depuis l'ouverture de cette saison si importante pour le BLMS, est-ce bien sérieux ? Certes, les hivers se suivent et ne se ressemblent pas, mais là, nous avons bien cru devoir nous contenter de ski-cailloux jusqu'à la fin de saison. Heureusement, les précipitations de ces derniers jours ont été significatives, et ont permis de reprendre un enneigement plus proche de la normale. Pour patienter, nous sommes-nous pour autant résignés à bouffer de la résine et à baver devant les photos de nos réalisations passées ? Non, bien entendu. Ce mois de février a d'ailleurs été riche en performances honorables, comme nous allons le voir. Le premier du mois, j'étais à Chamonix, au pays du " plus grand alpiniste du monde " (selon ses propres critères bien évidemment), Marco Siffredi, mais pas pour skier, pour grimper. Pile un mois plus tard, nous rentrons d'un superbe succès en Aravis, à Blonnière, le fief d'un certain Pierre Tardivel. D'un point de vue chronologique, les hostilités ont débuté par un but aux Grands Moulins, en compagnie du Vonk et du Max, qui avait pris quelques jours pour " marquer des points " à skis dans ses chères montagnes. La venue de l'enfant de Salmagne dans nos contrées nous remplissait de joie, et c'est une nouvelle fois la famille Fiori qui hébergeait le Meusien. Pas de chance, les conditions météo et une nivologie inquiétante dans Belledonne lors de notre tentative nous forcèrent à renoncer. Partie remise à plus tard pour moi, et essai transformé pour les deux autres compères (Vonk étant malade) quelques jours après.

Quatre jours plus tard, le 12 février, un an et un jour après notre mythique doublé " Infernet - Mourres Rouges ", le BLMS frappe fort dans le jardin des Haut Savoyards : la face Sud Est de la Roualle, une impressionnante montagne striée d'itinéraires Tardivel. Un succès quasi complet de notre équipe, seul manquait le Max, pourtant présent au départ de la course. Mais il allait être victime d'une boulette lourde de conséquences : l'oubli de ses peaux chez ses hôtes… Vu l'approche, il dut se résoudre au but. Quel dommage ! En ce qui nous concerne, nous heureux possesseurs de ces indispensables poils, la sortie fut grandiose : itinéraire complexe, torturé, engagé, mais d'une grande pureté, et d'une ampleur Oisanesque. Si Tardivel osait proposer 5.4 E 4, nous préfèrons le choix du topo du célèbre Volodia Shashahani, 5.3, les parties raides étant courtes et concentrées principalement dans le bas de la face. A noter enfin, que le soleil était de la partie pour cette entrée en matière dès plus agréables. Ah, une dernière chose, le fameux passage " à remonter en escaliers par bon enneigement " (ou pas) que nous avons plus ou moins équipé d'un piton foireux auquel il ne fallait pas trop se fier… La preuve ? Un seul coup de marteau pour le récupérer ! En tous les cas, voilà un mardi matin " séché " au boulot qui ne laissera pas beaucoup de regrets ! Et une ligne majeure dans notre escarcelle pour cette saison.

La semaine n'étant pas termi née, Vincent et moi décidons de remettre ça pour le vendredi matin, car s'il a neigé fortement sur certains massifs par chez nous (plus précisément ceux du Sud, avec cinquante centimètres de fraîche à la Croix Haute), nous apprenons par Christiane Bordin, qui décidément est une femme de ressources, que les Aravis n'ont pas reçu le moindre flocon ! Objectif : les Pointes de Blonnière, un sommet inévitable du Col des Aravis, un monstre défloré il y a une vingtaine d'années par l'incontournable Daniel Chauchefoin, puis parcouru par les grands skieurs locaux, parmi lesquels Pierre Tardivel ou le très fort Francis Bibollet (un nom propice aux jeux de mots vous ne trouvez pas ? Bilboquet ? Bof, pas terrible, on enchaîne)… L'avantage de cette course ? Une approche anecdotique, entre une demi heure et quarante cinq minutes de la voiture au sortir du piolet et des crampons : une broutille ! Au départ, à six heures, ça sent le but à plein nez : le col est plongé dans un brouillard épais, nous avons effectué les derniers kilomètres de route au ralenti tant la visibilité était mauvaise… Merde, cent trente bornes pour ne même pas quitter l'auto, ça fait cher la balade ! Nous nous décidons tout de même, et chaussons nos coques malgré le souffle de la déception… Nous partons à l'aveuglette en direction de la face que nous supposons se trouver devant nous, sans grand espoir. Pour couronner le tout, j'ai oublié ma frontale, en pleine nuit, me voilà bien barré ! Signe du destin ? Coup de chance incroyable ? Un peu des deux ? Toujours est-il que nous n'avons pas fait deux cent mètres quand Vonk, à la lueur de sa torche, repère un objet en plastique au sol : une frontale ! Elle marche en plus ! Miracle, me voilà équipé !

" C'est un signe ", m'amuse-je à prophétiser, nous allons réussir !

Alors que nous nous enfonçons dans le brouillard, une apparition : haut dans le ciel, un bout de rocher, un sommet, séparé du sol par une énorme nappe blanche : ça se découvre ! La lampe frontale miraculeuse fut une véritable lampe d'Alladin : nos vœux se sont exaucés, le soleil s'est même montré très généreusement, ce qui ne nous a pas empêchés de choper une petite onglée au sommet… La ligne ? Belle, très exposée et raide dans le bas, avec deux petits déchaussages inévitables et techniques à désescalader, puis une très longue rampe ascendante sur la gauche, moins raide, en bonne poudre tassée. Un itinéraire pas évident du bas, et on se dit que Chauchefoin (encore un nom à jeux de mots… bon d'accord j'arrête) devait avoir la foi pour partir à l'aveuglette dans un tel dédale rocheux, skis sur le dos. Respect pour ce grand défricheur de pentes, auteur entre autres de la première à skis de l'effroyable voie des Autrichiens aux Courtes.

Déjà deux belles courses à notre actif dans ce petit coin qui décidément se prête très bien au ski de pente raide… Il était temps que la belle série s'arrête. Nous essuyons deux échecs consécutifs qui ne font pas bien plaisir : le premier, parce qu'il nous a contraints à un effort inutile un jour de semaine : but à la " rampe Bordin ", dans le Vercors, en ce sombre 19 février. Couloir ravagé et insuffisamment enneigé, brouillard à couper au couteau, bref, un coup dans l'eau. Les quelques clichés ramenés de cette entreprise témoignent d'une telle ambiance glauque que nos interlocuteurs comprennent illico pourquoi nous sommes revenus bredouilles. Le second, daté du 24 février, quelques jours plus tard. C'est plein d'espoir que nous filons dans le Sud, à bord de la Clio, qui est d'astreinte. Première anecdote, nous accrochons les cent quatre vingt dix kilomètres heures sur un interminable bout droit, avant de nous mettre dans le tas de neige façon rallye de Suède en négociant une courbe glacée non signalée par le co-pilote... Bilan : un coup de frein à main salvateur qui épargne mon train avant et n'endommage même pas le cul de la RS qui a été lécher le talus : ouf ! La suite ? Un vent à décorner les bœufs, un Matt handicapé par des raquettes inadaptées à la pratique de la montagne, des ressauts en herbe et rocher à plus de soixante quinze degrés : la Tête des Ombres, marquée par l'empreinte du quasi mythique Gérard Jung, l'extrémiste du Dévoluy, ce ne sera pas pour cette fois. Une chose est sûre cependant : d'après ce que nous avons pu voir du bas, il s'agit certainement d'un objectif très sérieux, à ne pas mésestimer.

Quelques prouesses, quelques déceptions, globalement ce mois de février s'est plutôt bien passé, les buts s'effaçant rapidement de nos mémoires pour faire pleine place aux moments inoubliables passés à dévaler les pentes qui nous ont longtemps fait rêver et qui, dans un instant de clémence de la montagne, ont bien voulu s'offrir à nous. Si la pluie et la neige se sont installées sur notre région depuis le début de semaine, cela ne nous empêche pas de lorgner du côté…du col des Aravis, encore une fois, pour une sortie express vendredi 1er mars au matin. Lors de notre précédente visite, Vincent et moi avions été profondément attirés par la grande beauté des deux autres lignes qui parcourent la face : deux itinéraires extrêmes, longs, exposés, mais dont la beauté et l'ambiance agissaient sur nous comme par magnétisme : il nous fallait y retourner ! C'est décidé, nous repartons pour Blonnière, avec cette fois un petit être délicat et peu encombrant dans nos bagages : le Borsdin, tout pimpant, surf au dos ! Le départ est donné (pour B et votre serviteur) aux alentours de quatre heures trente, histoire d'avoir le temps de mettre un peu de coco dans la petite 106, et d'attendre sagement que le Vontss nous remonte avec son poêle à mazout… Nous parvenons à nous assoupir tous les deux et à foncer en direction de Moutiers au lieu de traverser la charmante bourgade d'Albertville, mais le mal est vite réparé, et les deux autos sont au rendez vous à l'heure prévue : six heures moins le quart au col des Aravis. Contrairement aux conditions de notre première visite à Blonnière, le ciel est découvert, bien que la nuit n'ait pas encore levé son voile noir. Matt et Vonk sont prêts et glissent déjà sur le plat alors que je n'ai pas encore fini de coller mes peaux ! Eh les gars, à ce rythme là, il ne fera pas jour au pied du couloir ! Je m'empresse de m'équiper, polaire " à mille balles " sur le dos car il fait frais ce matin, et alors que j'enclenche mes skis et boucle mon sac, je suis content d'enfiler mes moufles bien chaudes pour contrer l'arrivée imminente de la traditionnelle " onglée du départ ". Lorsque je m'élance, vers six heures moins cinq, les deux furieux ne sont plus qu'une petite tache lumineuse sur les reliefs au loin… L'approche est courte, trois quarts d'heure pour être opérationnel au pied du couloir, de la fameuse rampe d'accès au pilier Est de Blonnière. Matthieu et Vincent sont déjà engagés dans la face quand je pose enfin mon sac. Skis et bâtons abandonnés à côté de ceux de Matthieu, je repars hyper light : une paire de blades sur le dos, une petite bouteille d'eau à moitié vide, un appareil photo, et c'est tout ce que contient mon sac ! Crampons bien serrés, piolet empoigné, casque vissé sur le crâne, c'est parti, essayons de rattraper un peu les deux sherpas !

Cette rampe, qui paraît verticale vue du collet à l'approche, se montre bien plus raisonnable, un bon quarante cinq degrés jusqu'à l'arête. Bon, c'est ce qui me semblait le plus impressionnant, la suite devrait donc bien se passer… Décidément, ce Tardivel ne sait plus quoi inventer pour satisfaire ses sponsors, me dis-je en rigolant. J'allais bien vite ravaler ces pensées ! Cent mètres plus haut, on passe sur le fil du pilier pour y rester, le plus possible, pendant quatre cent mètres. Et là, surprise, ça s'énerve franchement : la pente se redresse vers le ciel, la barrière des cinquante degrés est explosée. Matt et Vonk, qui évoluent une cinquantaine de mètres au dessus, semblent en route vers les étoiles. Sous mon cul, un gaz déjà impressionnant, et on devine la monstrueuse barre rocheuse d'une bonne centaine de mètres pour celui qui ratera un virage dans cette section… On remonte l'arête, à la limite de la corniche, pendant une petite centaine de mètres, jusqu'à un passage extrême (près de soixante degrés mesurés par Matthieu ! Incroyable ce que la neige peut tenir sur de l'herbe !) s'enneigeant assez mal, mais s'enneigeant quand même. On franchit ensuite une petite arête sur la gauche, légèrement cornichée, mais c'est suffisant pour rendre le passage très délicat à la descente. Pour la première fois, je suis vraiment impressionné par la pente, par la continuité de la difficulté. Au Mayer Dibona, ma référence personnelle au niveau difficulté et ambiance, le couloir était long, mais il y avait de la place pour évoluer, et la pente n'atteignait jamais des valeurs aussi incroyablement raides. Une fois cette petite corniche franchie, on remonte, toujours sur une pente extrêmement soutenue, pour se taper une nouvelle une arête franchement raide, qui domine le départ d'une bonne plaque de fond. Nous cramponnons sur l'herbe, et constatons chacun notre tour la stabilité toute relative du manteau neigeux à cet endroit : il va falloir être très prudent tout à l'heure. Un souci de plus à gérer, en tous cas en ce qui me concerne. Toujours sur le fil du pilier, nous gagnons de l'altitude, péniblement, tant la neige, poudreuse mais irrégulière, ne facilite pas la progression. Nous évoluons parfois à moins d'un mètre du vide sur notre droite, de l'autre côté de l'arête. Bon sang, skier là dedans, ça va être absolument unique ! Les cent à cent cinquante derniers mètres sont moins soutenus, un bon quarante tout de même, et nous débouchons au sommet, sous un vent toujours assez violent. L'ambiance est à la détente avant la concentration, mais nous sommes tous d'accord : nous allons accomplir une des plus belles réalisations de notre carrière. Alors que nous reprenons tous en cœur le refrain du "Petit bonhomme en mousse ", je déplore l'absence du Max, car j'aime partager les grands moments de montagne avec tous les membres du BLMS. Je suis persuadé que nous allons devoir déchausser au moins une fois, mais Vonk et Matt m'assurent du contraire. Me suis-je laissé impressionner ? Pour la première fois, je me demande si je vais réussir cette descente, si je n'ai pas surestimé mes capacités et ma maîtrise des snowblades, si je n'ai pas cette fois poussé le jeu un peu loin avec ces " lames " dont les concepteurs n'ont absolument pas prévu qu'on puisse se livrer à ce genre d'excentricité. Oui, mais j'ai aussi l'occasion de prouver une fois encore que ces mini-skis, c'est ainsi que les nomme la nomenclature " officielle ", sont une arme qui se défend dans les pentes extrêmes. La démonstration doit donc se poursuivre. S'alimenter rapidement, boire, serrer les coques, enfiler le sac, le serrer contre son dos, chausser les skis, régler les leash. Nous sommes devenus silencieux. Matthieu, après une impulsion généreuse, a disparu dans la pente sous un nuage de neige alors qu'il a planté son premier virage. Vonk, le King à skis, l'a suivi. Et bientôt me voilà. Les premières dizaines de mètres nous mettent en jambes, dans un bon quarante degrés " new age ". L'ambiance est déjà irréelle, un pilier de quatre cent mètres à nos pieds, nous sommes plein gaz à chaque virage, sur le fil du rasoir. Une première cornichette à franchir, avec la plus grande circonspection, et c'est parti pour une expérience unique : mais où sont Matthieu et Vincent ? Merde, juste en dessous ! Ils semblent à la verticale tant la pente est folle ! Hallucinant ! Nous sommes accrochés à notre pilier, plein gaz, comme suspendus en l'air. Les virages demandent la plus grande attention, les jambes surfléchies, la pioche à portée de la main pour se donner confiance, même si chacun d'entre nous sait bien que le moindre faux pas ne sera pas enrayé. Mais nous maîtrisons chacun notre sujet, notre moyen d'expression, et nous enchaînons les courbes dès que possible. Certains bombements proches de soixante sont comme hors du temps, je me surprends plus d'une fois en apnée prolongée dans certains passages vraiment extrêmes. Nous sommes en train de vivre un truc géant ! Le vent, qui souffle comme un furieux, ne fait que rajouter à cette ambiance sévère. A chaque virage, les carres projettent de la neige que ce dernier redirige instantanément vers nos visages. La moindre photo est synonyme d'attaque du froid sur nos extrémités, et l'onglée guette, à l'affût. Ces moments, je sais qu'il me faut les graver dans ma mémoire pour toujours. Des instants de grâce, de beauté, de félicité, éphémères, comme le nom de ce beau pilier sur lequel nous évoluons, entre ciel et terre, ne sachant pas trop, durant cette descente intemporelle, à quel monde nous appartenons vraiment. Inoubliable. La pente terminale, amorcée par un bombé austère et une partie de dry-skiing délicate, nous amène jusqu'à la rampe d'accès, cette langue de neige qui me paraissait inchiable, et qui maintenant me semble débonnaire. Jusqu'au dernier virage avant de la rejoindre, l'exposition est maximale, la fameuse barre rocheuse ne fera pas de cadeau. Matthieu est déjà en bas, ultra efficace avec son surf, l'arme absolue aujourd'hui avec ces conditions. Il photographie deux minuscules points accrochés à un pilier gigantesque… Vincent est engagé dans la rampe, et me voici qui le rejoins : plus que quelques courbes, et c'est gagné, nous avons réussi ! Un sentiment de soulagement, mêlé de fierté personnelle m'envahit. C'est génial ! Après une telle descente, comment ne pas féliciter Pierre Tardivel pour cet itinéraire d'ampleur, toujours gazeux et exposé, qui procure un pied que l'on croyait réservé aux couloirs mythiques en haute montagne. Vonk et moi prenons le temps d'échanger nos impressions lors d'un léger debriefing avant de quitter définitivement les lieux, alors que Matt, pressé par le temps car ne disposant pas de sa matinée, disparaît déjà au loin, skis sur le dos, surf traçant vers le col et son auto. C'est déjà la fin d'un épisode sous haute tension, mais qui s'achève sur un nouveau succès, et un sentiment de plénitude rare. Vincent peut légitimement faire hurler un bon Metallica, le chant de la victoire, depuis les hauts parleurs de la 206 qui va nous ramener vers le monde des hommes.

Romain de Lambert