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Analepse à la face Sud de la Grande Balmaz.

3 février 2004

Dix jours aux States, ça vous dépayse un homme. Dix jours dans le froid certes, mais à vadrouiller dans les rues de New York, toisé par de fabuleux gratte-ciels, par les lumières folles de Time Square, enchanté par la beauté d’un show à Broadway, bercé par l’ « american way of life », porté par la vie trépidante d’une cité où tout est possible. Dix petites journées à la recherche de son passé, dans la ville de son enfance, où l’émotion monte d’un ton quand, « against all odds », je rencontre les institutrices qui m’accueillaient dans leur salle de classe il y a presque deux décennies. Dix jours à faire découvrir à Elsa un pays où j’ai vécu de belles années, où je suis retourné avec plaisir par la suite, un pays au manichéisme diplomatique énervant, au patriotisme exacerbé difficilement compréhensible pour des latins par nature plus contestataires, mais où les gens savent se montrer gentils, généreux, et curieux envers les étrangers que sommes. Dix jours loin des montagnes, mais les pieds dans la neige, puisque le mois de janvier fut un des plus froids de ces cent dernières années, et que NY a bien ramassé côté pertubations ! Des températures sous les –10°C, ce n’est pas banal pour des Français, fussent-ils Grenoblois ! Après la Big Apple, ce fut Boston, haut lieu historique, scientifique, et également culturel de la côte Est. Puis le long retour, les manips métro-bus-aéroport, l’avion, le RER, la voiture, la maison et les embrassades, de nouveau le RER, le TGV, et pour finir le Tram pour atterrir enfin rue Lachmann, chez soi. La boussole du 38 a fini par retrouver son chemin. Home sweet home avec des images plein la tête et le plaisir de les partager avec famille et amis.

Après avoir consacré une bonne demi journée à la famille en sautant de l’avion, on reprend contact avec les copains justement, on se tient au courant, quoi de neuf ? J’ ai quitté le B à St Ismier, après une descente express du Pas de l’Oeille à la Dent de Crolles, un vendredi midi. Une heure et quart voiture-voiture alors que la face chauffait, mais c’était globalement du bon ski, idéal pour se dégourdir une dernière fois les lattes avant de les porter chez Barthélémy pour un check-up complet et de s’envoler pour… les USA. Depuis, Max a scoré lors de son passage à Vénosc en épinglant un bel objectif qui manquait à son palmarès : l’Infernet. Il était accompagné du Borsd qui continue de s’offrir de jolis couloirs en double ; le grand blond était cette fois à skis. Quelques messages tronqués sur mon portable m’ont fait comprendre qu’il se tramait quelque chose pour ce matin, mais je n’avais rien de concret. Ce n’est qu’en attendant le Tram vers 20h30 hier soir à la gare de Grenoble que les choses se mettent en place. Matt m’annonce un « truc » en Aravis, à la Grande Balmaz selon toute vraisemblance pour le retour officiel du Vonk en pente raide. L’heure de départ est fixée à cinq heures… Pour moi qui ne me suis que peu reposé aujourd’hui dans l’espoir d’arriver à m’endormir tôt pour lutter contre le décalage horaire, c’est un peu de la folie, et je crains de ne pas tenir le coup… Mais de retour à la maison, après un coup de fil au Vonk, motivé et heureux de mon éventuelle présence, je me dis que je ne peux pas manquer ça. Plus d’un an qu’il en rêve de signer des virages taillés au scalpel comme il sait si bien le faire. Plus d’un an qu’il galère, de béquilles en opérations, d’infections en pansements, d’espoirs en incertitudes. Et demain matin, après quelques reprises de contact douces dans les Cerces puis dans le Vercors au dessus de chez lui, il se lancera dans une pleine pente, comme à la grande époque. Non, je me dois d’être là. Crevé mais motivé comme un gamin, je signe des deux mains pour ce projet dans un coin que je trouve très beau et dans une face typique des Aravis : peu d’approche, de la transformation vitesse grand V, de la pente, une ambiance très forte… et puis les Aravis c’est aussi quelques uns de nos plus beaux succès et souvenirs. Alors pas d’hésitation, go !

Au réveil, je me sens étrangement bien. Elsa s’est couchée vers 0h30, soit deux heures après moi, ce qui est à marquer d’une pierre blanche ! J’essaye de m’endormir, mais mes couchers tardifs aux US couplés à un jet lag défavorable me rendent la tâche difficile… Contre toute attente donc, quand le réveil sonne vers 4h30, je me lève volontiers et plutôt en forme. Je rumine en silence quelques céréales perdues dans un bol de lait, puis rejoins le garage où la Puntal est prête pour sa première sortie BLMS. C’est en effet elle qui sera chargée de nous transporter en Aravis, via la petite route merdique jusqu’à Flumet puisque les gorges de l’Arly sont une énième fois coupées… Vonk est passé prendre le B alors que j’en étais chargé… Je fais donc demi tour et file vers le parking de Casino à Crolles, à l’endroit précis où l’on se donnait rendez vous pour partir bosser en Suisse avec les collègues. La petite Puntal « bleu pédé jantes de kéké » nous transporte rapidement vers les lacets verglacés de la route du col des Aravis, au dessus de la Giettaz. Nous l’abandonnons vers 1300m, où nous partons sur le sentier après s’être rapidement équipés. Les images de l’an dernier pour un projet presque similaire me reviennent une fois sur les lieux, avec les odeurs, les sensations. Mes skis étant encore à l’affûtage, je me suis rabattu sur les bons vieux blades, et je ne vais pas tarder à chausser les magnifiques excroissances vertes que le B m’a gentiment prêtées : des raquettes : beurk ! On vise la transfo, et la neige est dure dans toute l’approche. Le fait que le S ait oublié mon Arva chez lui est donc anecdotique, ce qui l’est moins c’est que nous laissons nos portables à l’auto. Je prends toujours le mien, sans aucune exception… sauf ce matin. Le S abandonne le sien caché derrière le siège passager, pendant que Matt embarque son Telital new generation… mais celui-ci manque de batterie. Bref, mauvais point. Très vite, ça ne pinaille pas, et on monte dans une pente d’une trentaine de degrés, la face nous surplombant. Mais il reste encore un kilomètre vertical avant de franchir la corniche sommitale.

C’en est enfin fini de l’approche pure, place aux réjouissances techniques de la journée. Dix petites minutes après Vincent et Matthieu, je me débarrasse de ces maudites raquettes et chausse mes crampons. Piolet en main, blades bien arrimés, selon l’expression consacrée, je commence à gravir le couloir d’accès à la face suspendue. Le bombé du bas est extrêmement raide et présente en son milieu un passage bien étroit : pas mécontent d’avoir mes « engins » finalement ! On franchit un pilier neigeux redressé puis on contourne la barre rocheuse qui nous surplombait par la droite, pour recouper ensuite à gauche et accéder à la pente suspendue toujours bien raide qui nous domine et mène au sommet en légère diagonale, sans mollir. L’ensemble est soutenu et quand même exposé, les dernières dizaines de mètres sont en neige béton, la sortie sera baston ! Réta à la corniche, nous voici tous les trois sur un emplacement assez exigu. On bouffe un coup, on avale deux gorgées de flotte, chacun y va de sa trace jaunâtre en face Nord, on tente de ne pas trop se refroidir avant de passer à l’action mais il nous faut attendre. Attendre en moulinant des bras pour chasser l’onglée qui nous guette, en espérant que le putain de voile enveloppant le soleil veuille bien se barrer afin de laisser la transformation de la neige suivre son cours. C’est pour moi aussi la première vraie sortie technique de la saison, et la tension monte doucement. Pas fait de blades depuis la Petite Lance, et encore c’était en poudre. Pour la neige dure, ça remonte à bien plus loin… je suis anxieux, mais pas trop. J’apprécie rétrospectivement ces petits instants de doute avant de se lancer dans l’inconnu, de vivre un moment fort. La partie médiane de l’itinéraire est un peu moins raide et chauffe plus vite, elle permettra de se décontracter après une première section qui s’annonce plus violente. Et puis le retour du Vonk, le contact visuel avec Blonnière et la Roualle ne font qu’augmenter le sentiment de déjà vu au cœur de nos souvenirs les plus intenses et de nos réalisations les plus marquantes. Vincent ne laisse à personne le soin d’ouvrir les hostilités : comme avant, il chausse ses skis le premier, et verrouille ses fixes. Il ajuste ses dragones, et positionne ses deux planches neuves plein gaz, quittant l’abri de notre petite plate forme sur la crête sommitale pour se trouver en équilibre aérien sur ses carres neuves. Comme avant. Comment vont tes skis ? lui avais-je demandé quelques minutes plus tôt. « Je te dirai ça en bas », m’avait-il rétorqué. Je repense à ces paroles alors qu’après une courte traversée en dérapage, il plante un virage parfaitement maîtrisé tout en haut de la face, dans une neige encore très dure. En le voyant pivoter en l’air dans son style parfait, Matt et moi nous disons que son talent est intact, en un mot, le S is vraiment back cette fois ! Il dessine ensuite plusieurs courbes pour rejoindre une section où la neige devient plus tendre, et aussi plus irrégulière. Derrière, comme le dit Matthieu, « n’est pas Vonk qui veut », et nous ne prenons pas de risques inconsidérés : ne sentant pas le grip de nos outils respectifs, nous préférons déraper sur le début de la descente. Une chute à cet endroit avec une neige pareille ne pardonnerait pas. Nous ne tentons pas le diable. Une petite section crispette avec des rochers à négocier, et nous empilons les virages jusqu’à la petite croupe qui permet d’opérer la jonction avec la section inférieure et son fameux bombé qui doit être revenu à point à l’heure qu’il est, maintenant que le soleil cogne vraiment. Ah, Matt et Vonk m’attendent, sans doute pour une série de photos ? Les mots que le Matt me lance sont en réalité tout autres, et me glacent le sang :

« Grouille toi, Vincent s’est recassé le genou ! »

Alors que je commençais à me détendre et à profiter pleinement de cette descente, cette alarmante nouvelle relance le palpitant et je n’en perçois pas encore toute la portée. Le début de nouveaux longs mois de galère, la possible fin de carrière du S en pente raide, l’horrible perspective de complications médicales si tout est recassé, tout cela me traverse l’esprit mais ne s’y attarde pas. Suite à notre carton jaune collégial rapport aux téléphones, je confie en vitesse les clés de la Punto au B et ce dernier repart aussitôt direction le bas de cette face qui commence d’ailleurs à bien chauffer, et qui paraît soudain bien inhospitalière . Je resterai avec Vincent pour attendre la cavalerie. Il est assis de travers, posé dans la pente, piolet en main, skis plantés à ses côtés. Courageux, il ne souffre pas trop, ou du moins ne le montre pas. L’attente vient de commencer, l’horloge tourne… Nous ne le voyons pas mais le B dévale le reste du couloir en dérapant à balle, puis file dans la combe et fonce vers le sentier qui le mènera à la voiture. En vingt minutes il aura rejoint notre point de départ initial. Pendant ce temps, j’installe sommairement le S qui n’a en fait pas besoin de grand chose. Une fois le cul sur son sac et sa jambe calée par une petite margelle de neige, il est bien. Le paysage, qui s’étend du Mont Aiguille au Nant Blanc (à mon grand étonnement ?!) est grandiose et le soleil nous tient chaud, c’est un maigre réconfort. Le temps passe, le ronron de quelques avions lointains nous donne parfois de faux espoirs. La face est maintenant brûlante, écrasée par le soleil. Les coulées commencent à se manifester de part et d’autre de notre éperon neigeux. Nous avons la chance, au cours de cette lamentable sortie, d’être immobilisés à un endroit plutôt abrité. Seules quelques petites caillaisses pourraient nous choisir pour cible, mais nous avons installé un parre-pierre de fortune avec les skis, ça devrait aller. Afin d’éviter la tête de bite, nous nous badigeonnons le visage avec la crème solaire qui habite dans mon Dynacham depuis des lustres sans jamais en sortir.

Tocotocotoc, le claquement désormais familier d’un hélico se fait entendre, enfin. Il est midi moins dix, cela fait presque une heure et demi que le genou gauche du Vonk l’a trahi. Après un passage de reconnaissance où nous lui avons fait comprendre que son aide était la bienvenue, l’oiseau de fer nous survole maintenant de très près, brassant une quantité d’air phénoménale, nous obligeant à nous agripper à la paroi. Glissant le long de son fil d’araignée, un secouriste du PGHM finit par toucher la neige. Je l’attrape par le col, il est avec nous. Un second est également déposé. L’hélico repart pour une rotation. Huit cent mètres plus bas, près des chalets de bergers engloutis sous la neige, en sécurité, un toubib préalablement largué par l’hélicoptère attend avec son matériel. Je suis le premier à être arraché à la neige surchauffée par le treuil métallique, hop un peu de gym en arrivant sous les pales et zou, dans la cage. Pour moi, c’est fini, on dégrafe le baudrier. En partant, j’ai souhaité bon courage au Vonk et il m’a retourné un sourire. Ca va aller. Je suis dropé avec les sacs à côté du médecin, dans la neige. L’hélico repart pour quelques rotations, matériel, sauveteurs, puis Vincent, qui doit être équipé pour son évacuation (attelle, baudrier…). Vu du bas, c’est assez impressionnant. Deux minuscules points accrochés à une face neigeuse et rocheuse d’où déboulent ci et là de jolies coulées, et une usine à gaz volante qui pétarade aux alentours, récupérant tout ce beau monde et le déposant qui dans la vallée, qui à l’hôpital. Vincent est transporté vers Sallanches en compagnie du praticien, et je suis conduit en héli-stop à une trentaine de mètres de la voiture, où Matthieu m’attend. Pour moi, cette seconde expérience de l’hélico est bien plus appréciable que celle de 2001 où je jouais le rôle de la victime… Quelle vue, quel spectacle ! Dommage que les circonstances m’empêchent de jouir de cette opportunité… Je suis débarqué au milieu d’un champ en contrebas de la route. Une bonne poignée de badauds médusés immortalisent cette scène insolite, caméras et appareils au poing. Nous chargeons les affaires dans l’auto et reprenons notre chemin vers Grenoble. Il est environ midi et demi, fin de l’épisode.

Retour à Grenoble, direction le boulot, coups de fils, mails, on essaye de se tenir au courant et de tenir au courant. Le soir, Matt rend visite au S de retour à l’hôpital Sud. Elsa et moi le relayons en soirée, où notre ami attend toujours en salle de traction. Il sera finalement installé vers 21h30 en chambre 405... précisément celle qu’il occupait fin septembre dernier pour son opération visant à retirer le matériel de sa jambe… d’où une sordide impression de retour vers le passé. Mariane, très en colère, est bien évidemment choquée par ce nouvel accident qui intervient au moment où Vincent voyait enfin le bout du tunnel, après plus d’un an de galères à la chaîne. A l’heure où je ponds cette modeste copie, on s’orienterait vers un plâtre et pas d’intervention chirurgicale, un moindre mal. Reste à confirmer ceci avec le scanner…

Dernière minute : le S a regagné son domicile le jeudi 5 février, la jambe plâtrée pour six semaines, mais sans avoir été charcuté ni trituré par les marabouts d’Eybens. Une nouvelle encourageante qui l’aidera probablement à prendre patience…

Romain de Lambert, 5 février 2004.